Un nouveau caillou s’invite dans la chaussure des entreprises françaises, sur fond de conjoncture maussade. Car si le droit du travail tricolore explicite clairement que les arrêts de travail pour cause de santé ne donnent pas droit à des congés payés, le droit européen, lui, dit l’inverse. Or, rigoureuse, la Cour de cassation a prononcé un arrêt, le 13 septembre 2023, pour mettre fin à cette contradiction. Elle a déclaré que, conformément à une directive européenne de 2003, tout arrêt maladie générait désormais des droits à des congés payés. Mais elle ne s’est pas arrêtée là, prononçant la rétroactivité de la mesure. Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel, saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), planche donc sur la question. Il devra en effet déterminer si le Code du Travail français, qui – à l’heure actuelle – établit un lien entre activité effective du salarié et acquisition de congés payés, est conforme au principe d’égalité devant la loi et de protection de la santé des salariés. Si la décision du Conseil constitutionnel ne remettra pas en cause les arrêts de la Cour de cassation, le patronat, très inquiet des conséquences d’un changement du droit du Travail, espère qu’elle parviendra à en limiter l’application de cette directive européenne, notamment dans le temps.
Car cette dernière pourrait avoir des effets en cascade pour les entreprises françaises. Les salariés en arrêt maladie peuvent en effet demander à leur entreprise les congés dus à ce titre, mais ils peuvent également réclamer ces droits à des congés payés pour leurs précédents arrêts de travail. Et ce, même si le contrat de travail est terminé. Un employeur peut ainsi se voir contraint de faire un chèque à un ex-employé en réparation d’un préjudice passé. Certains syndicats de salariés abordent le sujet avec prudence. Les salariés y ont certes droit, mais « une demande massive d’attribution de ces droits aux congés payés pourrait potentiellement générer pour les entreprises des problèmes de fonctionnement opérationnel comme de trésorerie, que nous ne pouvons pas ignorer », souligne par exemple la CFTC.
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« C’est potentiellement dramatique », s’alarme ainsi Alain Gargani, dirigeant de l’entreprise d’événementiel AOS. « C’est une charge financière potentielle qui nous tombe dessus de manière totalement imprévue, s’inquiète le patron marseillais. Aucun chef d’entreprise n’a intégré une telle charge dans son prévisionnel. » Et si Alain Gargani reconnaît n’avoir que peu d’absentéisme dans son entreprise, il a été confronté par le passé à des arrêts de longue durée. « Avec le principe de rétroactivité, cela devient impossible. On pourrait avoir à débourser de 30.000 à 40.000 euros en cas de demandes d’ex-collaborateurs. Une somme qui exigerait forcément pour une petite entreprise d’augmenter ses marges, alors même que l’on traverse une période économique difficile », avance-t-il.
Par ailleurs, pour Alain Gargani comme pour de nombreux patrons, cette règle risque de « mettre à mal la valeur travail, et d’envoyer un mauvais signal aux salariés qui travaillent », pense-t-il. « C’est une aberration d’obtenir des congés alors qu’on ne travaille pas. Et ce n’est pas le moment du tout », acquiesce une dirigeante d’une entreprise adaptée (employant au moins 55% de travailleurs handicapés) dans le domaine du textile. « J’emploie 75% de personnes qui ont des difficultés d’insertion, et c’est la force de mon entreprise, explique celle qui préfère rester discrète. Mais ce sont aussi des publics qui sont dans des situations de plus grande fragilité et donc plus susceptibles d’être en arrêt. »
Dans sa société d’une trentaine de salariés, plusieurs sont en arrêt maladie depuis plus d’un an. « Ce sont des entreprises qu’on menace de faillite, c’est la panique pour certaines », alerte-t-elle. « On voudrait bien provisionner des sommes, mais c’est impossible pour une PME comme la mienne au vu de la conjoncture », se désole la chef d’entreprise, qui préférerait consacrer sa trésorerie à des primes ou des investissements pour améliorer les conditions de travail de ses collaborateurs. « J’ai un management très collaboratif et j’aide mes salariés. Mais si je reçois de telles demandes, je ne vois pas comment je pourrai y répondre », renchérit William Wafo, patron d’une entreprise de maintenance industrielle dans l’Ouest, particulièrement remonté contre le principe de rétroactivité.
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Mais pour le chef d’entreprise, ce poids qui vient s’ajouter aux difficultés des entreprises cache un problème de fond, plus grave encore. « On nous explique qu’il s’agit d’une harmonisation. Mais à quand l’harmonisation des systèmes sociaux européens ? », s’interroge celui qui rappelle combien le système social français est avantageux. « Et ce sont en partie les entreprises françaises qui paient, via des charges sociales bien plus importantes que leurs voisines européennes, qui plombent notre compétitivité. Au-delà du point spécifique des congés payés acquis en arrêt maladie, notre vrai combat doit être pour la compétitivité de la France en Europe. »
En soutien des PME, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) bataille pour limiter les conséquences d’une telle mesure, évaluées entre 2 et 3 milliards d’euros par an pour les entreprises. La pétition qu’elle a lancée a recueilli quelque 25.000 signatures. En attendant la conclusion du Conseil constitutionnel qui travaille sur le sujet aujourd’hui mais dont on ne connaîtra pas la décision tout de suite, l’organisation patronale a pu compter sur le soutien de l’ex-première ministre Élisabeth Borne, laquelle s’était engagée lors du salon Impact PME, en novembre, à « réduire au maximum l’impact de cette décision ». Les entreprises espèrent désormais que Gabriel Attal reprendra cette promesse.