Un corridor maritime pour venir en aide aux Gazaouis. Lors de son discours sur l’État de l’Union le 6 mars, le président des États-Unis a annoncé ordonner à son armée de conduire une «mission d’urgence» pour établir un port temporaire dans la bande de Gaza. L’objectif est de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, alors que les 2,5 millions de personnes qui y sont confinées sont menacées par une famine croissante. L’aide humanitaire «ne peut être une considération secondaire ni une monnaie d’échange», a encore martelé Joe Biden. L’Union européenne a annoncé dans la foulée son soutien à cette opération.

L’objectif de ce «port temporaire» est d’accueillir «de grands navires transportant de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des abris provisoires», a encore avancé le président des États-Unis. Concrètement, l’aide humanitaire sera expédiée depuis le port de Larnaca, à Chypre, par bateau. Elle sera ensuite déchargée quelque 400 kilomètres au Sud, dans l’enclave gazaouie, sur les quais d’une construction temporaire assemblée à bord des bateaux en transit. Cette construction permettrait ensuite à des centaines de camions de ravitailler l’enclave chaque jour en passant par cette jetée flottante.

La proposition de l’établissement d’un corridor maritime avait déjà été portée par Chypre dès décembre 2023, sans qu’Israël n’y donne pour autant de suite concrète. La donne a changé avec la dégradation catastrophique de la situation humanitaire à Gaza. L’aide humanitaire qui parvient actuellement dans la zone transite principalement par voie terrestre. Les convois qui y circulent ne sont cependant pas assez nombreux et sont régulièrement attaqués ou détournés par des bandes criminelles. Le 29 février dernier, plusieurs dizaines de Palestiniens affamés ont été tuées lors d’une émeute de la faim au cours de laquelle l’armée israélienne a ouvert le feu sur la foule.

Selon le Cogat, la branche de l’armée israélienne en charge de l’administration des Territoires occupés, qui gère l’entrée des convois dans la bande de Gaza, seulement 126 camions ont pu entrer le 1er mars dernier dans la bande de Gaza. Les ONG estiment qu’il en faudrait environ 500 par jour pour répondre aux besoins élémentaires des Gazaouis. Les largages de nourriture par voie aérienne sont également organisés, mais ils sont jugés peu efficaces par les professionnels de l’aide.

Cette solution technique, qui permettrait alors d’acheminer davantage de camions sans obliger à un «déploiement au sol de troupes américaines», a insisté Joe Biden, «changerait la donne de la situation humanitaire», pointe de son côté le docteur en science politique David Rigoulet-Roze. L’opération permet aux Américains de mettre la «pression sur Israël», analyse encore le spécialiste, alors que Joe Biden appelle de ses vœux depuis plusieurs semaines l’établissement d’un cessez-le-feu immédiat.

L’efficacité d’une telle mesure reste en revanche encore à démontrer, alors que l’enjeu clé reste l’acheminement équitable de ces provisions aux Gazaouis, «qui reste une prérogative de l’État hébreu», selon le chercheur. Les contrôles israéliens et les pillages à répétition ralentissent actuellement la distribution alimentaire.

L’initiative revêt également une forte dimension géopolitique : ce serait la première fois depuis vingt ans que des bateaux pénètreraient dans les eaux territoriales de l’enclave depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas. «Les États-Unis seraient alors dans les eaux territoriales gazaouies, ce qui représente de facto une rupture du blocus israélien», pointe David Rigoulet-Roze. L’État hébreu ne saurait cependant s’opposer à cette initiative américaine, compte tenu de la situation humanitaire.

Cette intervention américaine fait partie de la «culture thalassocratique» anglosaxonne, affirme encore le spécialiste. «Toutes choses égales par ailleurs, cela n’est pas sans rappeler les ponts artificiels de 1944 et la capacité américaine à projeter une infrastructure terrestre en mer», poursuit-il, en référence aux ponts préfabriqués par les États-Unis en juin 1944 pour permettre l’approvisionnement des Alliés dans les jours suivant le débarquement de Normandie.

Une telle initiative prend également une tournure éminemment politique avec l’approche de l’élection présidentielle américaine, complète le chercheur. «Joe Biden doit mobiliser ses troupes dans la perspective de la présidentielle de novembre 2024. Il ne peut se permettre l’abstention de certains électeurs démocrates – comme dans le Michigan – lors des prochains votes pour les primaires, ce qui pourrait lui coûter cher.» En clair, le président cherche à prouver qu’il soutient Israël, «mais pas à n’importe quelle condition.»