Alors que les résultats de l’élection présidentielle en Russie devraient être dévoilés dimanche 17 mars, l’issue du vote laisse peu de place au doute. Vladimir Poutine devrait rempiler sur un cinquième mandat, jusqu’en 2030. Après la mort d’Alexeï Navalny et dans un contexte de guerre en Ukraine, la principale interrogation de cette élection, comme les précédentes, réside davantage dans le taux de participation. Retour sur les circonstances qui ont entouré les élections russes depuis que Vladimir Poutine s’est hissé à la tête du Kremlin.

Officier du KGB lors de la chute du mur de Berlin, Vladimir Poutine commence sa carrière en politique à la mairie de Saint-Pétersbourg, avant que son ambition l’amène au poste de proche conseiller de l’ancien président Boris Eltsine. Élu pour la première fois à la tête de la Russie le 26 mars 2000, il récolte 53,4% des suffrages, un score qui paraît presque banal rétrospectivement. Depuis, presque 24 ans jour pour jour, le président et ancien premier ministre gouverne la Russie d’une main de fer.

Après la démission surprise de Boris Eltsine fin 1999, Vladimir Poutine assure l’intérim de la présidence jusqu’aux élections de mars 2000. Dans un contexte d’instabilité totale de la société russe, l’ancien colonel du KGB apparaît comme la seule alternative d’un pays aux abois économiquement et dont l’image reste écornée par les deux guerres menées en Tchétchénie en 1994 et 1999.

Fort d’un premier mandat où il est parvenu à remettre une économie russe jusque-là en berne et noyée sous les dettes, Vladimir Poutine a obtenu en 2004 un bien meilleur score qu’en 2000. Il atteint alors 71% des suffrages exprimés, contre 53,4% à la précédente présidentielle. Déjà, la campagne était entachée de forts soupçons de fraude et de corruption. Quelques semaines avant le scrutin, le président russe avait fait arrêter l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, anciennement proche de Boris Eltsine et financier du groupe d’opposition libérale Iabloko.

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Le Kremlin avait également craint l’influence des révolutions de couleur qui sévissaient dans plusieurs anciennes républiques soviétiques, comme en Ukraine, où la révolution orange poussait vers la sortie son président de l’époque Viktor Ianoukovitch. Déjà, les médias russes avaient pratiquement ignoré la campagne des autres candidats. Ce manque d’offre politique présentée aux Russes s’était soldé par un taux d’abstention «record». Seule 64,3% de la population s’était rendue aux urnes, le plus faible taux de participation connu jusqu’à aujourd’hui.

Poutine, comme cela a été le cas à quasiment chacune des autres élections, avait refusé de faire campagne, du moins officiellement. Malgré les controverses, le président russe était parvenu à conserver une très bonne cote de popularité entre 2000 et 2004, oscillant entre 75 et 80%, selon le centre de statistiques indépendantes russe Levada.

Après deux mandats successifs, Vladimir Poutine avait été contraint par la Constitution russe de céder le pouvoir en 2008 à Dmitri Medvedev, son ancien premier ministre. Les deux hommes ont échangé leur rôle dans une élection qualifiée de «symbolique» par la presse internationale, tend l’issue des votes ne faisait aucun doute. Avec 71,3%, le tandem avait réalisé un nouveau score très élevé, à peu d’unités du précédent résultat de 2004. La popularité de Vladimir Poutine, elle, n’était toujours pas altérée avant la guerre éclair menée par la Russie en Ossétie du sud. C’est finalement durant le mandat de Dmitri Medvedev que sa cote de popularité a chuté auprès des électeurs, passant d’un peu plus de 80% en 2008, à à peine plus de 60% en 2012.

Un tournant est intervenu fin décembre 2011 lors de l’élection législative et à quelques mois de la présidentielle. En effet, le parti Russie unie de Vladimir Poutine a obtenu un score tout à fait modeste de 49% des suffrages face au parti communiste russe, le PCFR, premier parti d’opposition, qui recueillera de son côté près de 20% des suffrages. Une courte victoire cachant toutefois de fortes disparités. Les régions excentrées du Daghestan et de la Tchétchénie dans le Caucase lui ont offert respectivement 91,62% et 99,48% des voix, pourcentages qui ont soulevé les soupçons sur les circonstances des votes. Dans plusieurs régions du pays, des urnes déjà pleines avant même l’ouverture des bureaux de vote avaient provoqué l’indignation des électeurs. Un sentiment d’injustice s’était emparé d’une partie de la population. De là, des leaders de la protestation avaient émergé de l’anonymat. Ce fut le cas d’Alexeï Navalny, alors blogueur et entrepreneur, qui avait pris la parole à plusieurs reprises lors de rassemblements.

Les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’ONG russe Golos avaient également rapporté des fraudes «fréquentes» et répandues dans le pays. Sentant l’influence de l’ONG prendre de l’ampleur, les autorités russes avaient chassé les salariés de leurs bureaux moscovites. Golos avait par ailleurs recensé pas moins de 4500 irrégularités dans la campagne et reçu 860.000 visites de son site en seulement trois mois. L’organisation avait révélé que des entreprises forçaient leurs employés à se rendre aux urnes pour voter pour le «bon candidat». Les statistiques de participation étant scrupuleusement surveillées, des objectifs étaient fixés concernant chaque région et secteurs. Dans ce contexte, la campagne pour l’élection présidentielle de 2012 débutait sous de mauvais auspices pour le candidat de Russie unie. Avec les manifestations, le taux de participation était d’à peine plus de 65%, score presque aussi faible qu’en 2004.

Voté à la Douma en 2008, puis inscrit dans la Constitution par Medvedev, l’allongement de la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans repousse la réélection de Vladimir Poutine à 2018. Au plus bas après les manifestations entourant les élections présidentielles et législatives de 2011 et 2012, la popularité du président russe connaît un vif regain lors de l’annexion de la Crimée en 2014. À la fin de cette même année, une cote de près de 90% lui était même attribuée par le centre Levada. Une vague de popularité sur laquelle Vladimir Poutine va surfer jusqu’en 2018, date d’une nouvelle élection présidentielle remportée avec un score de 77,5%, son résultat le plus élevé jusqu’ici. La participation s’était maintenue, elle, à un taux correct de 67,5%.

Un tournant s’est cependant produit le 1er juillet 2020, date d’une révision constitutionnelle octroyant le droit au président russe de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036. Vladimir Poutine justifiait cette réforme par la nécessité de «ne pas se perdre dans une quête de successeurs potentiels». Les représentants de l’opposition, Alexeï Navalny en tête, l’avaient accusé de se garantir «une présidence à vie». Un durcissement du système des retraites et des mesures conservatrices avaient également été adoptés. Cet assemblage de réformes avait nui à la popularité du chef du Kremlin. Le taux d’approbation de sa politique mesuré par le centre Levada oscillait alors autour de 60%. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a toutefois provoqué un brusque rebond pour atteindre 80%, taux quasiment inchangé depuis deux ans.

Selon les derniers sondages, le score de Vladimir Poutine à l’élection de dimanche pourrait se situer entre 80 et 85%, des résultats records. L’émotion suscitée par la mort d’Alexeï Navalny ne devrait pas influer sur l’issue du scrutin, selon nombre d’observateurs, en dépit des appels de sa veuve Ioulia à manifester. Le taux de participation pourrait lui aussi être revu à la hausse, et ce, malgré le désintérêt des Russes pour les élections. La surveillance des responsables hiérarchiques dans les entreprises devrait permettre de doper les scores de participation. Une «pression patriotique» étalée de façon inédite sur trois jours, qui devrait finir de refroidir les intentions de ceux qui souhaiteraient esquiver le vote.