Tel Aviv
«J’ai eu l’impression oppressante de vivre un mauvais film à suspense en direct», raconte Haïm Levi, un ingénieur quinquagénaire de Rehovot, au sud de Tel-Aviv. Comme tous les Israéliens, il a connu dans la nuit de samedi à dimanche un moment d’angoisse devant sa télévision. En début de soirée, le porte-parole de l’armée a annoncé que, selon des renseignements de l’armée américaine, des centaines de missiles et de drones iraniens avaient été tirés vers le territoire israélien et que les impacts allaient se produire incessamment. «J’ai été complètement paniquée. D’habitude, lorsque le Hamas tire des roquettes à partir de la bande de Gaza, les sirènes se déclenchent quelques minutes avant leur impact. Mais cette fois-ci, il a fallu vivre plusieurs heures en sachant que le danger se rapprochait, tout en priant pour que Tsahal intercepte les missiles et les drones avant qu’ils sèment la mort», ajoute Meitail Shasha, gérante d’un magasin de fleurs à Tel-Aviv.
Tous ont ensuite poussé un soupir de soulagement, en pleine nuit, lorsque le porte-parole de l’armée a annoncé que 99% des engins tirés par l’Iran avaient été détruits en vol grâce aux quatre systèmes de défense aérienne ou à des avions de combat avant même de pénétrer dans l’espace aérien israélien. À la peur a alors succédé un sentiment euphorique de victoire. «Aucun pays au monde n’aurait pu remporter un tel succès», se félicite Gilad Cohen, un étudiant qui vient d’effectuer, ces dernières semaines, une période de réserve dans la bande de Gaza.
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Le porte-parole militaire a ensuite dressé un bilan du tableau de chasse: tous les 170 drones ainsi que les 30 missiles de croisière tirés par les Iraniens ont été abattus à temps. Seuls une dizaine de missiles balistiques sur 120 ont réussi à s’infiltrer et ont provoqué des dégâts qualifiés de mineurs sur la base aérienne de Nevatim, située dans le sud du pays. Les médias ont aussitôt présenté ce bilan comme un «succès historique» pour la haute technologie israélienne. À noter toutefois que 70 des engins tirés par les Iraniens ont été détruits en vol par les Américains, les Britanniques et les Jordaniens.
Après ces heures d’extrême tension, un retour à la normale s’est produit. L’espace aérien israélien, qui avait été fermé pendant sept heures, a rouvert dimanche après-midi. La fermeture des établissements scolaires n’a en fait que des conséquences limitées en raison de vacances des élèves pour Pessah, la Pâque juive. L’interdiction de rassemblements de plus de 1000 personnes, en particulier lors de manifestations contre le gouvernement, devrait être rapidement levée.
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Sur le plan militaire, le cabinet de guerre s’est réuni dimanche après-midi. Selon la radio de l’armée, Benyamin Netanyahou a plusieurs options, mais doit surtout trancher un dilemme. Il peut donner son feu vert à des représailles massives sur le territoire iranien, y compris contre des installations nucléaires, ou choisir des représailles de «faible intensité», à la mesure des dégâts très limités occasionnés lors de l’agression iranienne. Si cette dernière option est choisie, elle devrait se traduire par des bombardements au Liban contre le Hezbollah, fidèle allié de l’Iran, des raids aériens en Syrie visant des militaires iraniens en poste dans ce pays, sur le modèle de l’élimination, le 1er avril, d’un des chefs des gardiens de la révolution tué lors d’une attaque aérienne attribuée à Israël. Cette opération est à l’origine de l’attaque iranienne de ce week-end.
Seule certitude: les États-Unis pressent Benyamin Netanyahou d’éviter à tout prix d’enclencher une escalade incontrôlée qui plongerait toute la région dans la guerre. Apparemment, le message commence à être perçu cinq sur cinq. Le ministère des Affaires étrangères a prévenu dans un communiqué que «l’Iran doit payer le prix de son agression», sans préciser quel serait le tarif appliqué.
Israel Katz, le chef de la diplomatie, après avoir tenu des propos martiaux, les a nuancés en expliquant qu’avant d’agir «toutes les considérations seront prises en compte et, si cela s’avère nécessaire, des consultations plus larges auront lieu». L’allusion aux discussions avec les États-Unis est claire. Il n’est toutefois pas certain que tous les ministres écoutent cette «voix de la raison».
Selon les médias, plusieurs membres du gouvernement appartenant à l’extrême droite sont partisans de frapper très durement l’Iran. Ne serait-ce que pour maintenir intacte la force de dissuasion d’Israël et ne pas donner des signes de faiblesse qui profiteraient à l’Iran, à ses alliés, mais aussi au Hamas, qui, hasard du calendrier, a rejeté dimanche, selon le Mossad, une proposition américaine visant à libérer les 133 otages enlevés par le mouvement islamiste palestinien lors de la sanglante incursion, le 7 octobre, dans le sud d’Israël, en échange de Palestiniens détenus par Israël.
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D’après des médias israéliens, le président américain s’est refusé à donner carte blanche à Benyamin Netanyahou. Il lui a ainsi demandé de faire preuve de modération et de se contenter de la «victoire» que représente l’interception en vol des essaims de missiles et de drones. Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a également prévenu Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense, que les États-Unis n’avaient pas l’intention de participer à une guerre contre l’Iran. Autrement dit, Washington ne veut pas se retrouver entraîné dans un conflit régional susceptible d’avoir des conséquences catastrophiques.
Les Américains insistent également pour être prévenus des initiatives militaires que pourrait prendre Israël, ne serait-ce que pour ne pas être pris par surprise et avoir le temps de renforcer la protection des bases américaines disséminées au Moyen-Orient.
Sur le plan strictement militaire, Israël dispose des moyens de frapper très durement l’Iran. L’arsenal de l’État hébreu comprend des escadrilles de F-35, des avions américains équipés du dernier cri de la technologie capables d’atteindre le territoire iranien, de plusieurs sous-marins équipés de missiles, dont certains croiseraient au large des côtes iraniennes, de missiles à longue portée de type Jéricho, qui pourraient, selon des experts étrangers, être équipés de têtes nucléaires et d’une nuée de drones suicides.
Ces derniers appareils ont fait leurs preuves sur le terrain en 2022 lorsqu’une base où étaient entreposés des drones dans la partie ouest de l’Iran a été attaquée avec ces engins sans pilote.