Ce sera donc la vente à perte. Le gouvernement est sorti du bois, samedi soir, dévoilant la manière dont il souhaitait combattre la flambée des prix des carburants. Alors que le diesel a bondi de 22 centimes en deux mois, passant à 1,95 euro le litre, et l’essence de 12,6 centimes sur la même période, la première ministre a pris la parole dans un entretien accordé au Parisien.
Saluant le geste de TotalEnergies, qui a plafonné les prix dans ses stations à 1,99 euro le litre, ainsi que les opérations de vente à prix coûtant menées par la grande distribution, Elisabeth Borne a souhaité aller plus loin. «Comme certaines [enseignes] l’ont fait remarquer, elles ne peuvent pas baisser davantage leurs prix, car la loi leur interdit de revendre à perte depuis 1963. Aujourd’hui, je vous annonce qu’à titre exceptionnel sur le carburant et sur une période limitée […], nous allons lever cette interdiction, ce qui permettra aux distributeurs de baisser davantage les prix». Une «mesure inédite» qui doit permettre d’obtenir des «résultats tangibles» pour le portefeuille des ménages.
Pour l’heure, ce dispositif reste flou. Le Figaro fait le point sur les questions qui se posent et les précisions connues à ce jour.
En théorie, depuis 1963, la revente à perte est interdite pour tous les commerçants. L’article L442-5 du code du commerce dispose que «le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 75.000 euros d’amende». Concrètement, le prix d’achat est considéré comme le «prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport».
Quelques exceptions sont admises, comme les soldes, fortement encadrées, les «produits périssables menacés d’altération rapide» ou encore les «ventes volontaires ou forcées motivées par la cessation ou le changement d’une activité commerciale», précise le texte.
Aujourd’hui, une station-service peut seulement vendre son carburant à prix coûtant, c’est-à-dire sans marge par rapport au prix d’achat. La grande distribution réalise régulièrement ce type d’opérations, intéressantes pour attirer des clients dans les magasins.
Cette modification passera par un projet de loi, indique-t-on au cabinet de la ministre chargée de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Elle sera incluse dans le projet de loi sur les renégociations commerciales : ce texte avait été annoncé par Bruno Le Maire, en août dernier. Il vise notamment à accélérer la réouverture des discussions entre distributeurs et industriels sur les tarifs des produits, afin d’obtenir des baisses de prix dans les rayons au plus vite.
Cette mesure est destinée à tous les acteurs qui sont contraints par l’interdiction de 1963, qu’il s’agisse de la grande distribution, des acteurs intégrés ou des stations indépendantes.
Dans les faits, cependant, tous ne pourront pas se le permettre. Il sera plus facile pour les grandes et moyennes surfaces de vendre à perte. «Nous n’avons de toute manière pas les moyens de le proposer», relève ainsi Francis Pousse, président national stations-service et énergies nouvelles au sein du syndicat professionnel Mobilians, qui représente 5800 stations hors grandes surfaces.
Pour l’heure, le projet de loi n’a pas été présenté, mais Bercy tablait sur une adoption en novembre.
D’abord, le calendrier reste incertain. La première ministre a annoncé que cette évolution s’appliquerait «quelques mois», un point qui devra être précisé lors de l’examen du projet de loi au Parlement.
Ensuite, il faudra aussi déterminer le nouveau seuil minimal en-dessous duquel les distributeurs ne pourront revendre le carburant.
En un mot : «le gouvernement a beaucoup fait». En choisissant cette piste, l’exécutif transfère la charge financière aux entreprises, qui vont devoir rogner sur leurs marges. Un moyen, pour l’État, d’éviter de dépenser des milliards d’euros dans une nouvelle remise carburants. Début septembre, Bruno Le Maire avait ainsi fermé la porte à cette possibilité : une ristourne de 15 à 20 centimes, avancée notamment par Xavier Bertrand, aurait coûté «12 milliards d’euros», selon le patron de Bercy.
Par ailleurs, une nouvelle ristourne aurait envoyé un mauvais signal, représentant une «triple aberration», a martelé le ministre ces derniers jours : écologique – subventionner le carburant -, budgétaire, et diplomatique, alors que l’Hexagone tente de se sevrer de sa dépendance aux hydrocarbures importés.
Autre piste laissée de côté : le gouvernement aurait pu baisser la TVA pesant sur les carburants, la fiscalité représentant près de 60% du prix final payé par le consommateur. Là encore, cependant, la charge aurait dû être endossée par l’État, et le coût aurait été faramineux. «Chacun doit prendre sa part. C’est normal de mettre à contribution les gros industriels. La responsabilité de l’État, c’est aussi de baisser son déficit et sa dette», s’est justifiée Elisabeth Borne au Parisien.
Pas encore, mais le gouvernement assure que cette mesure a été discutée en amont avec la grande distribution. «L’objectif est de permettre aux acteurs qui le peuvent d’effectuer des opérations coups de poing, pour aider les Français, de manière exceptionnelle et temporaire», dit-on.
Plusieurs acteurs de la grande distribution soulignaient, ces derniers mois, ne pas pouvoir baisser davantage le prix qu’ils proposaient pour les carburants. «La législation interdit de vendre à perte», déclarait Dominique Schelcher, patron de Système U, cette semaine. Un rappel également fait par Michel-Édouard Leclerc. Aujourd’hui, un distributeur voit dans cette nouvelle possibilité de vendre à perte «un piège». Ces entreprises précisent régulièrement tirer une marge infime – quelques centimes – des ventes de carburants, qui restent un produit d’appel. Reste à voir si elles vont s’emparer de la possibilité offerte par le gouvernement d’aller plus loin, une fois la loi votée.
Les réseaux de stations sont sous le choc, s’inquiétant d’une distorsion de concurrence, puisqu’ils risquent de ne pas avoir les moyens de vendre à perte le carburant. Francis Pousse critique une décision «carrément inéquitable». Pour le représentant, les réseaux, et surtout les indépendants, risquent de souffrir de cette situation : «On dérégule quelque chose qui avait été mis en place en 1963. Sans cela, le marché n’est plus équitable, et c’est ce qui va se passer», s’inquiète-t-il dans un entretien accordé au Figaro .
Francis Pousse va porter la voix de ses adhérents auprès de Bruno Le Maire, la semaine prochaine. «On ne pourra pas tenir sans aide de l’État, sinon, on est mort, c’est certain», prévient-il déjà. L’État risque par ailleurs de perdre des recettes de TVA, mais «cela sera à peu près indolore», estime le président national, qui s’attend à ce que la grande distribution puisse baisser les prix de «quelques dizaines de centimes» au litre.