À Tunis
«Macron assassin», «Colon un jour, colon toujours», «France, tu n’es plus la bienvenue», «Où est l’humanité ?», «Génocide en cours, personne ne bronche !» pouvait-on lire sur les pancartes ou sur les murs de l’Institut français de Tunis mercredi après-midi. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans le centre de la capitale tunisienne et dans d’autres villes de province mardi soir et mercredi. Un rassemblement pour exprimer le soutien à la Palestine, et la colère après le tir meurtrier sur un hôpital de la ville palestinienne de Gaza qui a fait des centaines de morts.
Résolument pro-palestiniens, les Tunisiens ont (re)trouvé ici une cause qui les unit tous. Députés inféodés au régime de Kaïs Saïed (qui a pris les pleins pouvoirs en juillet 2021), opposants et population lambda étaient mercredi dans la rue, avec une affluence qui n’avait pas été vue depuis des années. Dans la nuit de mardi à mercredi, lors d’une réunion du conseil de la sûreté nationale, Kaïs Saïed a dénoncé «un silence international» sur les «génocides» perpétrés par l’armée israélienne contre les Palestiniens, selon lui. La Tunisie, qui a accueilli de 1982 à 1994 l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, a toujours soutenu la cause palestinienne. Dès le 9 octobre, et sur demande du président Kaïs Saïed, les écoles tunisiennes ont levé le drapeau palestinien. Un projet de loi est actuellement à l’étude pour criminaliser la normalisation des relations avec Israël, qui ne dispose d’aucune représentation diplomatique dans le pays.
Devant les marches du théâtre municipal, sur l’avenue Bourguiba, l’une des plus grandes artères de la capitale, Choukrane, étudiante de 23 ans à la faculté de médecine de Tunis, brandit une pancarte où il est inscrit «Ne pardonnons pas, n’oublions pas, résistons !» Si elle est venue ce mercredi – elle n’a pas participé à la première manifestation qui avait déjà rassemblé quelques milliers de personnes le 12 octobre -, c’est à cause du bombardement de l’hôpital Ahli Arab : «Maintenant, ils attaquent les civils, les enfants, les blessés. Ils nient les droits les plus basiques. Attaquer un hôpital c’est plus que franchir une ligne rouge !» À ses côtés, Ahmed, de la même promotion, poursuit : «Avec un acte comme celui-ci, ils ne peuvent pas être humains.»
La version d’Israël – soutenue par le président américain – qui attribue la frappe à un tir de roquette raté de l’organisation palestinienne Djihad islamique, alliée du Hamas, ne convainc pas. Au mieux, elle fait rire. Au pire, elle attise la colère. «Tout le monde croit Israël qui pleure à cause des Palestiniens. Mais personne n’écoute les Palestiniens qui pleurent depuis des décennies à cause de la communauté – je refuse de parler d’État – israélienne qui colonise un autre pays. Les peuples d’Europe ne voient pas la réalité, car les médias ne présentent que le point de vue d’Israël», s’agace un jeune, «je ne fais plus confiance aux Français. »
Quant à l’attaque du 7 octobre perpétrée par la Hamas, les manifestants la comprennent : «Le Hamas n’a pas attaqué en premier ! C’est une réaction à des années d’humiliations et de meurtres. Aujourd’hui, les jeunes Palestiniens se battent pour leur terre, ils combattent la terreur qu’Israël a semé depuis des années !» À 100 mètres de là, un autre attroupement se masse devant les barrières. L’ambassade de France est à quelques pas, protégée par les policiers. Ici, les cris visent la France et son rôle dans le conflit. «Je suis fâché, fâché contre ce chien de Macron, débute Hassan, chômeur de 32 ans. Il a tiré sur l’hôpital de Gaza ! Ne me dites pas que ce n’est pas lui ! Biden, Macron et Netanyahou sont alliés. Ce que fait Netanyahou est soutenu par Biden et Macron.» Pour Hassan, l’ambassadrice française doit quitter son pays, ainsi que toute la représentation diplomatique.
Ce qui a particulièrement choqué, c’est le rejet, lundi soir, d’un projet de résolution de l’ONU appelant à un cessez-le-feu humanitaire dans la bande de Gaza. La France, avec les États-Unis, le Royaume-uni et le Japon, a voté contre, au motif que le texte ne désignait pas le groupe islamiste palestinien Hamas. «Si la France avait fait front avec la Palestine, ce massacre n’aurait jamais pu arriver», pense Meriam, 18 ans, qui se réfère à un graffiti, en face de l’Institut Français : «Il y a écrit : La France, pays des droits de CERTAINS hommes. Je n’ai rien d’autre à ajouter.» Lundi, des jeunes qui avaient tagué le mur de l’Institut français ont été brièvement arrêtés. Mardi matin, le mur avait été repeint en blanc. Il a été de nouveau tagué dans la soirée du même jour. L’ambassade de France a alerté, mercredi, ses ressortissants, indiquant que la sécurité des intérêts français en Tunisie avait été renforcée.