Les femmes sont-elles les mal-aimées du Goncourt ? Si la troisième sélection du Goncourt, dévoilée mardi 25 octobre, respecte la parité, l’Académie reste depuis sa création un cercle très masculin, avec seulement 10% de femmes parmi les auteurs couronnés et une poignée de jurées.
Les écrivains Jules et Edmond de Goncourt, les frères fondateurs du prix éponyme, étaient des langues de vipère notoires. Dans leur «Journal», ils ne cessent d’évoquer la femme avec une plume trempée dans du vinaigre: «Impudiques, superficiels dans la conversation, intrigants, moralement méprisables, dépourvus de sens littéraire (…) Dans le meilleur des cas, ces jolis animaux atteignent à l’intelligence du singe».
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En 1904, un an après la remise du premier Goncourt, 22 femmes de lettres dénoncent la misogynie du jury pour avoir dédaigné Myriam Harry et sa «Conquête de Jérusalem». En réaction, elles fondent le prix Femina et lui décernent leur premier prix.
Il faut attendre 42 ans pour voir la première lauréate du Goncourt: Elsa Triolet en 1945, pour son recueil de nouvelles Un accroc coûte deux cents francs. Le jury récompense la femme de Louis Aragon mais aussi une résistante emblématique au moment où trois jurés – dont Sacha Guitry – sont poursuivis pour avoir collaboré avec l’occupant allemand.
En 119 ans, seules huit femmes ont été jurées. Après Judith Gautier en 1910, fille de Théophile Gautier et grande amie de Baudelaire et d’Hugo, Colette est seulement la deuxième à entrer au jury en 1945. Première présidente de l’Académie Goncourt (1949-1954), Colette règne sur ce cercle masculin. «Avant les délibérations», racontait Edmonde Charles-Roux, deuxième présidente de 2002 à 2014, «Colette téléphonait à deux ou trois amis et cela suffisait à orienter le vote». Sous Colette, sont élues les deux premières lauréates: Elsa Triolet puis Béatrix Beck pour Léon Morin, prêtre (1952).
Aujourd’hui trois femmes sur dix jurés ont leur couvert à Drouant, le restaurant parisien où se retrouve le jury : Françoise Chandernagor (depuis 1995), Paule Constant (depuis 2013) et Camille Laurens, qui a remplacé Virginie Despentes, démissionnaire en 2020.
Le Goncourt n’a récompensé que 12 femmes depuis sa création, dont trois depuis 2000: Marie Ndiaye (2009), Lydie Salvayre (2014) et Leïla Slimani(2016). Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute, Hélène Bessette, Françoise Sagan ou Annie Ernaux ne l’ont jamais reçu, quand d’autres autrices incontournables ont été couronnées sur le tard.
En 1943, Simone de Beauvoir est ainsi pressentie pour son premier roman L’Invitée. Elle se serait même acheté une robe pour l’occasion. Finalement c’est Marius Grout qui gagne. Quand en 1954, elle est couronnée pour Les Mandarins, elle ne se déplace pas pour recevoir le prix.
En 1950, Marguerite Duras fait grand bruit avec Un barrage contre le Pacifique. Mais le jury de Colette lui préfère Paul Colin. Duras ne sera couronnée que 34 ans plus tard, en 1984, pour L’Amant. La romancière a alors acquis une telle notoriété qu’elle paraît, selon le président du Goncourt Hervé Bazin, «plus proche du Nobel que du Goncourt».
Cette année, deux femmes, Cloé Korman et Brigitte Giraud, figurent aux côtés de deux hommes, Giuliano da Empoli et Makenzy Orcel, sur la liste des finalistes en lice pour le prix, qui sera remis le 3 novembre.
Depuis 1904, sur les 395 lauréats des prix Goncourt des Lycéens, Renaudot, Médicis, Interallié, Femina, 101 sont des femmes, soit 26% (contre 10% pour le Goncourt). Depuis 2000, cette proportion monte à 35% (contre 14%). Le Femina, et son jury 100% féminin, a distingué 39% de femmes, tandis que le Goncourt des Lycéens en a primé 41% depuis sa création en 1988.
Le Renaudot, qui a couronné 18 femmes en 96 ans d’existence, s’est «rattrapé» depuis 2000 avec dix lauréates. En 2021, deux femmes ont également rejoint le jury où siégeait jusqu’alors une seule femme, Dominique Bona. Tel était le souhait de Jérôme Garcin qui, en démissionnant en 2020, dénonçait «l’aberrante constitution d’un jury à 90% masculin».
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