Quelle place doit occuper le travail dans la vie ? Interrogés en 1990, les Français étaient clairs : il est central. 92% d’entre eux considéraient qu’il était en effet «important» dans leur vie, et 60% qu’il était «très important». Mais trente-deux ans plus tard, le constat n’est plus aussi évident. Les Français font plus volontiers passer leur activité professionnelle au second plan, selon une étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès. Interrogés, ils sont désormais 82% à estimer qu’elle occupe une place importante… et 24% seulement à estimer qu’elle est «très importante». Un effondrement de 36 points.
À lire aussiEmploi: la «grande démission» n’est pas terminée
La crise du coronavirus a rebattu les cartes, en amenant les travailleurs, et en particulier les cadres, à s’interroger sur leur cadre de travail. Il s’agit même là de l’aspect de leur vie qui a selon eux connu le plus de mutations depuis deux ans, note Romain Bendavid, directeur de l’expertise corporate
«Aux XIXe et XXe siècles, la question du travail a cristallisé les débats philosophiques et politiques. Les différents courants de pensée lui accordaient une place centrale résumée dans une dialectique aliénation/émancipation, écrit Romain Bendavid. De surcroît, au-delà des conditions individuelles, le travail déterminait aussi l’inscription dans la société ou l’espoir d’ascension sociale». C’est aujourd’hui moins le cas. Les Français accordent davantage d’importance à leurs loisirs (93% d’entre eux considèrent qu’ils sont «importants» contre 79% en 1990) et à leurs amis et relations (91%, contre 86% en 1990).
Parallèlement, une autre dimension structurante en 1990 voit leur rôle s’affaisser dans le quotidien des Français. Il s’agit là de la religion, jugée importante par 22% des Français contre 42% il y a trente-deux ans. Elle suscite parallèlement un rejet plus fort : 78% des Français ne la considèrent «pas très importante» ou «pas importante du tout», contre 56% en 1990. La politique, elle, continue d’être un sujet d’importance moindre pour la majorité des personnes interrogées : en 1990 comme aujourd’hui, elle est jugée importante par environ 30% des Français.
L’effritement de la place du travail ne signifie pas que les Français sont insatisfaits de leur situation professionnelle. Au cours des dernières décennies, cet indice est stable : 76% des Français se jugeaient satisfaits de leur emploi en 2003, ils sont toujours 75% en 2022. Mais le travail a perdu sa dimension «structurante» et statutaire. Interrogées sur les termes qui leur viennent à l’esprit quand on prononce le mot «travail», les personnes interrogées évoquent plutôt la «sécurité» (27%), la «routine» (27%) éventuellement le « plaisir » (17%). Mais seulement 13% d’entre eux évoquent la «fierté».
À lire aussiLes start-up industrielles relocalisent l’emploi
Les employeurs semblent en tout cas paradoxalement s’aligner sur les nouvelles aspirations des salariés. Ils sont de plus en plus nombreux à considérer que les enjeux RH d’adaptation des modes de travail sont la priorité, une problématique citée par 45% des personnes interviewées, devant notamment la capacité à mieux répondre aux nouveaux besoins des clients (40%). «Comme cela arrive parfois dans l’histoire, une crise de cette ampleur s’est finalement avérée être plus efficace et rapide pour parvenir à un consensus, ici entre les différents acteurs professionnels, que des négociations», conclut ainsi l’auteur.
À VOIR AUSSI – «Oui, nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps», annonce Borne