Envoyé spécial à Deir Kifa (Liban)

Ils sont plus de six cents, en treillis, réunis sous un chapiteau dressé au milieu de la base onusienne de Deir Kifa. Autant cernés par les collines verdoyantes que l’instabilité environnante, les Casques bleus français mobilisés pour tenter de maintenir le calme dans le sud du Liban sont autorisés le temps d’un instant à relâcher la pression. «La main sur le godet… Le godet à deux doigts des écoutilles… parez pour la poussière… envoyez!», sonne un militaire, alors que toutes les tablées lèvent leur verre de vin. Sébastien Lecornu y compris.

Quelques instants plus tôt, le ministre des Armées en visite, ce lundi, au pays du Cèdre pour célébrer le Nouvel An avec les troupes, au lendemain d’un détour par l’Égypte à bord du porte-hélicoptères Dixmude , les prévenait que l’année à venir ne promettait pas d’être de tout repos. «Nous sommes dans une grande forme d’incertitude dans laquelle on ne sait pas très bien comment les différents acteurs de la région vont se comporter… On n’est pas très loin de Téhéran, la situation se durcit évidemment à Gaza…», observe-t-il de façon non exhaustive alors que les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre ont réactivé les foyers de tension de la région. Jusqu’en mer Rouge, où les houthistes visent le commerce international, lié à Israël et aux États-Unis. «Tout cela nous plonge tout de même dans une forme d’abîme», admet le ministre à 15 km de la frontière israélienne. C’est sa deuxième visite sur place depuis novembre.

«Cette guerre fêtera ses trois mois dimanche prochain», remarque à la tribune le colonel Matthieu Leroy, commandant de la force de réserve de la Finul. Avec 10.000 hommes, dont 700 militaires français, cette force d’interposition est sur la brèche depuis que le Hezbollah libanais et Tsahal s’affrontent à nouveau. Dix-sept ans après la guerre du Liban, «le risque d’escalade régionale» inquiète Sébastien Lecornu. «Notre passage ici va être semé d’incertitude dans les semaines et jours qui viennent. Je serais un mauvais ministre si je ne vous prévenais pas que la mission va continuer d’être, si ce n’est inconfortable, potentiellement très dangereuse».

Les militaires de Deir Kifa rapportent une recrudescence des altercations. «Ce qui se passait en trois ou quatre ans se passe en une semaine», témoigne un officier alors que se font entendre les drones israéliens qui survolent la zone. Obus, roquettes… les tirs du Hezbollah et les répliques israéliennes sont quotidiens, au risque de fragiliser la résolution onusienne 1701, qui offre un cadre précaire au Liban du Sud depuis 2006.

Selon un récent décompte de l’AFP, les affrontements entre Israël et le Hezbollah ont fait près de 160 morts du côté libanais, dont plus de 110 combattants du Hezbollah ; 13 Israéliens, dont 9 soldats, ont été tués depuis le 7 octobre.

«Si on n’était pas là, qu’est-ce que ça serait…», soupire un gradé. Pour s’interposer, les patrouilles des véhicules blindés légers peints de blanc, phares allumés, fanion de l’Onu en évidence, se multiplient entre les routes des villages libanais bordés d’affiches de propagande du Hezbollah et de ses alliés. «La force de la Finul, c’est sa visibilité», relève le militaire. «La guerre est évitable, et les deux parties n’ont aucun intérêt à la guerre», insiste Sébastien Lecornu aux côtés du général Joseph Aoun, le chef d’état-major des armées libanaises, qu’il a convié à la base de Deir Kifa. L’occasion d’annoncer la cession par la France au Liban de véhicules armés blindés (VAB). Le ministre réitère son souhait de voir une deuxième «trêve» et un «cessez-le-feu durable» se concrétiser entre Israël et ses ennemis. «Il faut y travailler sans relâche», affirme Sébastien Lecornu, qui juge qu’elle permettra de libérer les otages encore retenus par le Hamas. À rebours des déclarations du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui montre chaque jour un peu plus sa détermination à faire usage de la force.

En attendant que les efforts diplomatiques fassent un jour taire les armes, les troupes et le ministre entonnent d’une même voix le chant de la 2e division blindée, où l’on conte la perspective d’une «paix radieuse au coin du feu».