L’hostilité persistante à la réforme des retraites mesurée dans les enquêtes d’opinion se traduira-t-elle mardi par des cortèges plus fournis? À l’heure où le texte débute son examen en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, la deuxième journée de mobilisation sera scrutée par l’exécutif. Il avait admis sans ambages le 19 janvier dernier que les syndicats avaient réussi à largement rassembler. Avec plus d’un million de personnes attendues dans les rues selon le ministère de l’Intérieur, elle pourrait être tout aussi soutenue. «Il ne faut pas parier sur une mobilisation qui s’éteint», devance un conseiller de l’exécutif, quand un ministre s’attend à une nouvelle journée de galères même si les déclarations anticipées des grévistes se tassent sensiblement. «Il y aura du monde», préfère prévenir un conseiller de l’exécutif. Mais «s’il y a plus de monde, ce sera problématique», s’inquiète un membre du gouvernement.
Emmanuel Macron n’entend pas pour autant flancher. Tout en laissant sa première ministre et son gouvernement se débattre face aux manifestants. «Le président choisira son moment pour s’exprimer, s’il doit le faire», balaie François Patriat, le patron des sénateurs macronistes. Pour l’instant, charge à Élisabeth Borne de rappeler qu’il n’est pas envisageable d’abandonner le report de l’âge légal de départ à 64 ans. Le point le plus symbolique de la réforme «n’est plus négociable», a-t-elle insisté le week-end dernier, alors que l’exécutif argue qu’il a déjà renoncé à maintenir l’objectif d’un report à 65 ans brandi pendant la campagne présidentielle.
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Lors d’une réunion organisée à Matignon, dimanche soir, la chef du gouvernement a invité les ministres présents à être «à l’offensive» et à «monter au front». L’exécutif ne veut pas laisser prospérer un doute autour de sa détermination à conduire la réforme jusqu’au bout.
Dans le sillage d’Élisabeth Borne, des proches du chef de l’État estiment qu’il faut muscler la parole de l’exécutif. «La pédagogie, ça ne sert plus à rien. Les gens sont fixés sur les 64 ans, donc maintenant il faut faire de la politique», souligne un parlementaire qui a l’oreille d’Emmanuel Macron, en citant en exemple Gérald Darmanin, qui a regretté que la Nupes cherche à «bordéliser le pays». Une façon de remobiliser le noyau macroniste et les électeurs de droite, quand la position des députés LR se fait parfois vacillante. «Ce n’est pas la même chose d’être contre la réforme et contre le mouvement social», juge un ministre, comme avec l’espoir que les perturbations lassent les Français.
Surtout, l’exécutif voit l’opportunité de cliver le débat public avec les positions maximalistes des Insoumis sur les milliardaires et le rapport au travail plutôt qu’en s’en prenant au front syndical qui opte pour l’heure pour des rendez-vous très espacés et ne se presse pas de déclencher des grèves reconductibles. «Maintenant, on doit descendre dans l’arène, garder le cap, ne pas répondre aux attaques permanentes. Et, comme on dit, “les chiens aboient, la caravane passe”», avance un sénateur du premier cercle.
C’est sans compter les voix divergentes qui se font entendre au sein même de la galaxie macroniste. Ainsi Marisol Touraine, l’ex-ministre du Travail, a étrillé la réforme des retraites, qualifiée lundi sur France Inter de «passeport pour le populisme d’extrême droite». «Le report de l’âge de départ à 64 ans est un totem injuste», a dénoncé l’ancienne socialiste qui a soutenu Emmanuel Macron en 2022. «Elle et François Rebsamen (qui s’est opposé lui aussi au report de l’âge légal à 64 ans dans Le Figaro) savaient ce qu’il y avait dans le programme présidentiel. Ils sortent du bois parce qu’ils ont regardé les sondages», ironise un ministre.
Face à une mobilisation qui risque de s’inscrire dans la durée, l’exécutif entend être «clair sur ce qui est intangible (64 ans) et souple sur les paramètres environnants (travail des seniors, droits pour les femmes…) pour ne pas faire déborder le vase de la mobilisation», selon l’analyse faite par un membre du gouvernement. Un conseiller abonde: «Les seniors et les femmes ce sont les seuls points qui peuvent évoluer lors de la discussion parlementaire.» Conviée mardi à la réunion des députés de la majorité après une intervention, lundi soir, au bureau exécutif du parti présidentiel, Élisabeth Borne aura l’occasion de rappeler ses attentes à ses troupes. De plus en plus embarrassées par le mur de l’opinion qui se dresse.