Réforme des retraites, acte II, scène 1. Après les concertations avec les partenaires politiques et sociaux ; après la présentation officielle de la réforme par la première ministre ; après les réactions outragées des opposants au texte… place à la rue. Elle se mobilise ce jeudi à l’appel d’un front syndical uni. Objectif: dépasser le million de manifestants, pour engager le rapport de force avec l’exécutif. La scénographie a beau être habituelle, elle n’en demeure pas moins source d’inquiétude pour le gouvernement, qui joue sur le registre de l’humilité et de la détermination en même temps. «C’est un mouvement qui correspond à une expression démocratique, que nous respectons bien entendu», a ainsi prudemment glissé Olivier Véran, à l’issue du Conseil des ministres mercredi. Avant d’ajouter aussitôt: «Nous espérons que cette expression populaire ne se transformera pas en blocage.»

C’est de toute façon depuis l’autre côté des Pyrénées qu’Emmanuel Macron et une bonne partie de ses troupes observeront les cortèges s’élancer. Le président de la République et onze de ses ministres sont attendus à Barcelone pour signer un traité d’amitié France-Espagne, sur le modèle de ce qui a déjà été fait avec l’Allemagne et l’Italie. «Le sommet avait été fixé bien en amont», rappelle-t-on à l’Élysée, où l’on regrette de n’être «pas totalement maîtres du calendrier». Or, s’il n’y a «pas de marge de manœuvre (…) sur la modification de cette date», il y en a en revanche sur le casting de la délégation qui accompagnera le chef de l’État.

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Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a ainsi été prié de renoncer au voyage, «estimant (…) qu’il a mieux à faire à Paris», notamment participer à une émission spéciale sur BFMTV dans la soirée. Comme lui, «d’autres ministres, (…) partiellement concernés par le mouvement pourront écourter le programme sur la moitié de la journée, pour rentrer à Paris un peu plus tôt». Allusion à celui des Transports, Clément Beaune, dont le secteur est l’un des plus touchés par les grèves. Allusion aussi à son collègue de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a mobilisé quelque 10.000 policiers et gendarmes face aux menaces d’actions violentes des «blacks blocs», voire des «gilets jaunes». Tous resteront en lien étroit avec la première ministre, Élisabeth Borne, qui suivra la situation depuis Matignon, et pourrait être poussée à s’exprimer en fin de journée.

Une prise de parole suspendue à l’ampleur de la protestation et aux éventuels débordements. Car la journée de demain conditionnera en partie l’avenir de la réforme. Si le gouvernement affiche pour l’heure sa volonté d’aller au bout, certaines voix reconnaissent hors micro que toutes les hypothèses restent à l’étude. «On planifie toujours tous les scénarios quand on fait une réforme. Et personne ne dit qu’un processus de réforme ne comprend pas des discussions à un moment donné…», glisse-t-on dans l’entourage de Macron. Sans toutefois reculer d’un pouce sur le report progressif de l’âge légal de départ en retraite pour ramener le système à l’équilibre. «Je m’attends à une mobilisation, mais pas forte. Après, s’il y a trois millions de personnes dans la rue, on verra», confie un poids lourd du gouvernement. Au risque de voir le piège des pronostics se refermer sur l’exécutif. «Fixer un objectif, c’est donner envie aux gens de l’atteindre», corrige un proche du chef de l’État, qui redoute les inévitables comparaisons avec les précédentes manifestations. Surtout si elles se révélaient défavorables pour l’exécutif. «La question de la jauge, c’est la question à un million d’euros. Personne n’est capable de dire ce qu’il va se passer. J’ai juste regardé les chiffres de 2010, et même la police avait recensé “plus d’un million de personnes”. Donc on verra bien», évacue un ministre de Bercy.

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Entré perdant dans la bataille de l’opinion, avec plus d’un Français sur deux hostile à son projet selon le dernier sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, l’exécutif a fait son deuil d’un retournement de situation. «Sur le nucléaire, l’opinion a complètement basculé, observe un membre du gouvernement. On peut connaître le même phénomène sur les retraites, mais c’est loin d’être le plus probable.» Sauf en cas de violences répétées, comme cela avait été le cas avec les «gilets jaunes».