Élisabeth Borne aime les chiffres. Il n’aura pas échappé à cette polytechnicienne qu’à seulement 34 ans, Gabriel Attal devient ce mardi 9 janvier le plus jeune premier ministre de la Vème République. Mais en lui cédant sa place à Matignon, Élisabeth Borne emporte surtout avec elle d’autres chiffres importants, ceux de son bilan à la tête du gouvernement.
D’abord ministre lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, elle était devenue, en 2022, la deuxième femme à entrer à Matignon après Édith Cresson (1991-1992). Au moment de passer le relais à son successeur sur le perron de l’hôtel de Matignon, la cheffe de gouvernement remerciée a redit sa «fierté» d’avoir, dans des «conditions inédites à l’Assemblée», fait «adopter nos budgets, la réforme des retraites, la loi immigration et plus de cinquante textes». Mais il y a fort à parier que l’Histoire retiendra également d’autres nombres…
Le premier d’entre eux est sans doute le «23», pour le nombre de fois où la première ministre a recouru au fameux article 49.3, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte sans le vote du Parlement. Aux prises avec une majorité relative, Élisabeth Borne a notamment fait usage de cette arme constitutionnelle pour faire adopter la réforme des retraites ainsi qu’un grand nombre de textes budgétaires.
Seul Michel Rocard, premier ministre de 1988 à 1991 et lui aussi confronté à une majorité relative, l’avait utilisé davantage : 28 fois. Mais au regard du temps passé à Matignon, Élisabeth Borne surpasse son prédécesseur avec une moyenne de 49.3 tous les 26 jours.
Jamais premier ministre n’en avait affronté autant sous la Ve République : Élisabeth Borne a ainsi survécu au dépôt de 31 motions de censure, dont 28 déposées en réponse à l’utilisation du 49.3. Mais l’opposition n’est pas parvenue à s’unir pour renverser la cheffe du gouvernement.
Lorsque la première ministre avait fait passer la réforme des retraites au forceps, il s’en était fallu de seulement neuf voix. À noter cependant que l’Assemblée nationale avait adopté une motion de rejet sur le texte de loi immigration, obligeant l’hôte de Matignon à convoquer une commission mixte paritaire, qui avait débouché sur l’adoption d’un texte largement amendé par la droite.
Élisabeth Borne pulvérise quoi qu’il en soit le record de 20 motions de censure, établi par Raymond Barre lorsqu’il était à Matignon entre 1976 et 1981. Nommé après la démission de Jacques Chirac, il avait dû ferrailler avec une majorité gaulliste récalcitrante à l’Assemblée.
Autre chiffre marquant : le «602», pour le nombre de jours passés dans «l’enfer de Matignon», qui classe Élisabeth Borne au cinquième rang des premiers ministres les plus fugaces depuis 1958, date de fondation de la Vème République. La désormais ex-première ministre fait mieux qu’Édith Cresson (323 jours), seule femme à avoir occupé ce poste avant elle.
Écartée après la déroute socialiste aux élections régionales et cantonales de mars 1992, Cresson avait parfois fait face aux railleries machistes venues du monde politique de l’époque. Au moment de passer le relais à Gabriel Attal, Élisabeth Borne a d’ailleurs évoqué à demi-mot les difficultés rencontrées en tant que femme à la tête du gouvernement : «J’ai pu constater qu’il reste du chemin pour l’égalité entre les femmes et les hommes, a-t-elle déclaré. Je le dis à toutes les femmes : tenez bon, l’avenir vous appartient.»
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Sa longévité aura également dépassé celle de Bernard Cazeneuve, de Maurice Couve de Murville et de Pierre Bérégovoy. Bernard Cazeneuve avait occupé le poste à partir de décembre 2016 jusqu’à la présidentielle, en remplacement de Manuel Valls, qui avait quitté ses fonctions pour se déclarer candidat. Des décennies plus tôt, Couve de Murville avait brièvement pris la tête du gouvernement jusqu’au référendum raté de 1969 qui avait signé le départ du général De Gaulle.
Mais s’il y eut un premier ministre pour qui l’expression de «l’enfer de Matignon» prit tout son sens, ce fut sans doute Pierre Bérégovoy. Nommé par Mitterrand en 1992 pour succéder à Edith Cresson, Bérégovoy avait dû faire face à une succession d’affaires – Bernard Tapie, Henri Emmanuelli, sang contaminé notamment -, transformant sa mission en véritable calvaire. Ce long chemin de croix s’était achevé par la lourde défaite de la gauche aux législatives de mars 1993 et la mise en cause personnelle de Pierre Bérégovoy dans une affaire de prêt douteux. Le 1er mai 1993, trois jours après avoir quitté ses fonctions, le socialiste s’était tiré une balle dans la tête.
Après la démission d’Élisabeth Borne, plusieurs membres de la garde rapprochée du chef de l’État, dont François Bayrou, ont appelé lundi à la composition d’un gouvernement resserré. Celui de la première ministre comptait 17 ministres, pour 39 membres au total, en comptant les ministres délégués et les secrétaires d’État. Un chiffre plutôt dans la continuité des gouvernements depuis la présidence de Jacques Chirac, si l’on excepte le premier gouvernement d’Alain Juppé en 1995 (26 ministres) et le gouvernement Fillon III, entre 2010 et 2012 (22 ministres). Les gouvernements les plus nombreux de la Vème République ont été composés sous François Mitterrand, avec notamment les gouvernements Mauroy I de 1981 (24 membres) et II, de 1981 à 1983 (29 membres).