La porte est bien fermée, mais il en est un qui, derrière, traîne dans les parages. Petit sourire taquin aux lèvres, Thomas Ménagé s’attarde devant les locaux du groupe Les Républicains, son téléphone à la main. À l’un de ses amis de droite, le député RN envoie une photo de l’entrée du bâtiment, accompagnée de ce petit mot: «Attention, vous êtes sous surveillance. Il va falloir la voter, cette motion.»

Il est 15h15, les débats sur la motion de rejet défendue par les Écologistes pour retoquer le projet de loi immigration n’ont pas encore commencé, et déjà, la pression monte. Un message prémonitoire. Quelques heures plus tard, dans un vrombissement extraordinaire, l’Assemblée nationale, retoque le texte de Gérald Darmanin, à 270 voix pour et 265 contre.

Le ministre encaisse d’un sourire crispé. Les deux bras écartés, il pointe l’alliance d’un jour qui a permis l’adoption de cette motion de rejet: les oppositions de droite comme de gauche l’ont toutes votée, à l’exception de quelques députés. Elles viennent de faire subir à l’exécutif son plus gros revers depuis le début de cette législature. Le RN et les forces de gauche exultent de concert. La droite LR, elle, a le triomphe modeste. Quelques minutes plus tôt, après plusieurs jours de suspense, la députée RN Edwige Diaz et le patron du groupe LR, Olivier Marleix, annoncent, dans une ambiance électrique, qu’ils vont voter la motion présentée par l’écologiste Benjamin Lucas. «Vous êtes complètement mabouls», crie l’ex-LR, désormais député Renaissance Robin Reda à ses anciens camarades.

Dans l’Hémicycle, la tension est à son comble. Tout le monde fait les comptes et mobilise son camp. «Il paraît qu’on est légèrement majoritaires…», se rassure, nerveux, un parlementaire macroniste. «C’est bon pour nous, la motion ne passera pas», lâche même, serein, un conseiller de Franck Riester, le ministre des Relations avec le Parlement, au secrétaire général du groupe RN, Renaud Labaye. Il ne le sait pas encore, mais le compte n’y est pas. Pendant ce temps, dans l’enceinte parlementaire, le député MoDem Erwan Balanant attaque la droite: «J’ai du mal à vous comprendre», tance-t-il en regardant les députés LR. «On s’en fout!», lui rétorque le LR Maxime Minot. La décision des troupes d’Éric Ciotti est pour une fois quasi unanime: sur 62 députés – dont 52 votants – 40 se sont prononcés pour, seulement deux contre (Alexandre Vincendet et Nicolas Forissier), et 11 ont choisi de s’abstenir. La position a été arrêtée quelques minutes plus tôt, en réunion de groupe. «Nous avons exprimé notre désaccord sans triomphalisme», se félicite Yannick Neuder (Isère).

Les téléphones ont chauffé tout le week-end. Entre les coups de fil d’Olivier Marleix, d’Éric Ciotti et ceux de Gérald Darmanin, les députés LR ont été très sollicités. Les premiers ont cherché à convaincre les hésitants quand le second a tenté de négocier jusqu’au bout. Mais ces «belles promesses», ainsi que les qualifie un député, ont fini de démontrer le décalage «abyssal» entre les intentions du ministre de l’Intérieur et les marqueurs politiques posés par l’aile gauche macroniste en commission. Un cadre LR, qui s’est entretenu avec le ministre de l’Intérieur, rapporte: «Ses tentatives désespérées de rattraper les choses ont prouvé sa grande inquiétude. Mais il était déjà trop tard.»

Alors, après moult hésitations, la droite a fini par dégager une ligne commune. «C’est un coup de semonce au gouvernement, qui a supprimé une immense partie du texte du Sénat», se targue Annie Genevard (LR). «C’est un gros coup politique d’Olivier Marleix», lâche un autre élu. La semaine dernière, le patron des députés LR, avait, dans le plus grand secret, déposé une motion de rejet du texte, mettant alors une pression maximale sur le gouvernement. Auprès du Figaro, ce dernier indique ne pas en faire «une victoire personnelle» et estime que ce résultat s’inscrit dans le débat parlementaire et fait suite au «double langage scandaleux» du ministre de l’Intérieur. «Ce vote est la conséquence du “en même temps” que tous les groupes ont dénoncé», cingle le patron du groupe LR.

Un message que la droite sénatoriale, dont le texte avait été largement remanié en commission, reçoit cinq sur cinq. «Pour Darmanin, ce grand écart était intenable. Ce texte portait dans son ADN la marque des divisions profondes de la majorité présidentielle sur l’immigration. C’est un désaveu cinglant pour le macronisme», fustige Bruno Retailleau.

Au Rassemblement national, la question se résumait ainsi: qu’est-ce qui ferait le plus de mal à Gérald Darmanin, le gouvernement et le camp présidentiel? La décision n’a pas été si difficile à prendre pour Marine Le Pen. Pourtant, ce n’était pas celle-ci qui semblait se dégager en milieu de semaine dernière. Les proches de l’ex-finaliste de l’élection présidentielle étaient même «très très partagés» à l’idée de retoquer immédiatement le projet de loi immigration. Il fallait faire vivre le débat. Mais les choses se sont accélérées jeudi, lorsque Marine Le Pen apprend qu’Olivier Marleix a également déposé une motion de rejet.

À ce moment précis, sa décision est prise: il faut voter le rejet des écologistes. Ainsi, lundi matin, lorsque Marine Le Pen annonce à son groupe, réuni au complet, qu’elle souhaite que le RN vote la motion, personne n’émet la moindre réserve. «Ils étaient tous carrément pour!», se réjouit un cadre. «Ce n’est pas souvent que nous avons des victoires politiques», se réjouit Renaud Labaye. «La majorité a péché par excès de confiance. Gérald Darmanin n’a jamais voulu traiter avec nous, il en paye les conséquences.» Un proche de Marine Le Pen assure: «En fait, ce qui a été décisif, c’est de revenir à la version du Sénat.»

Avec ce rejet, c’est effectivement la version de la Chambre haute qui pourrait revenir sur la table d’ici quelques semaines. Lundi soir, les responsables des trois groupes de la majorité se sont prononcés pour la poursuite de l’examen parlementaire du texte. Au sortir de l’Hémicycle, aux côtés de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée, et Sacha Houlié, le turbulent président de la commission des lois, Gérald Darmanin ne cachait pas sa déception. Pendant que les oppositions, elles, quittaient, tout sourire, l’enceinte parlementaire. Au Palais Bourbon, les vacances, initialement prévues au soir du 22 décembre, arrivent donc plus tôt que prévu.