Une union nationale impossible? La «grande marche civique» contre l’antisémitisme, voulue par le président du Sénat, Gérard Larcher, et par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, se heurte aux polémiques sur la présence du Rassemblement national à cette manifestation, qui aura lieu ce dimanche 12 novembre, et le refus de La France insoumise (LFI) d’y participer.
Au point de poser une interrogation sur la venue, ou non, d’Emmanuel Macron ce dimanche. «Il réfléchit», confie l’entourage du chef de l’État, en visite ce mercredi au siège du Grand Orient de France. Devant les francs-maçons, le président a mis en garde ceux qui «prétendent soutenir nos compatriotes de confession juive en confondant le rejet des musulmans et le soutien des juifs». Une chose est sûre: la participation de Marine Le Pen et de Jordan Bardella fait grimacer les conseillers du président. «On a connu plus vendeur», souffle l’un d’eux. La première ministre, Élisabeth Borne, a, de son côté, tranché: elle sera bien là.
C’est que la présence de l’un a clairement éclipsé l’absence de l’autre. Plus que la décision de Jean-Luc Mélenchon et de ses troupes de ne pas aller manifester entre l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est la décision du RN d’en être qui fait réagir le camp présidentiel et la gauche.
«À mon sens, le Rassemblement national n’a pas sa place dans cette manifestation», a déclaré le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à la sortie du Conseil des ministres. «Le RN joue à être respectable, avec un visage souriant et républicain. C’est odieux de les entendre se présenter comme les meilleurs défenseurs d’Israël ou de la communauté juive aujourd’hui. Les héritiers de Jean-Marie Le Pen n’ont pas leur place dans ce genre de mobilisations», estime le ministre des Transports, Clément Beaune, au Figaro. Avant de renchérir: «Quand on pense que Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite, c’est qu’on a un gros problème d’antisémitisme – qui demeure, comme toujours, au cœur de l’extrême droite».
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«J’appelle solennellement les organisateurs ainsi que les partis politiques qui y participeront à ne pas être les complices de la banalisation d’un parti fondé par des antisémites», lance Stéphane Séjourné, patron de Renaissance. Au sein du parti présidentiel, il y a eu d’abord un effet de surprise. «On ne s’attendait pas à ce que Jordan Bardella saute aussi vite sur l’événement. Le RN n’a aucune place derrière une barrière républicaine à nos côtés», fait-on valoir. L’angoisse de la majorité se veut réelle: «Il ne faudra pas montrer que le parti du président fut à cette date complice de la dernière pierre de la banalisation du RN.»
Dans un communiqué commun, le PS, le PCF et Les Écologistes ont annoncé qu’ils comptaient réaliser dans le cortège «un cordon républicain» pour «distinguer dans la manifestation un cortège rassemblant tous les républicains et progressistes d’une part et le Rassemblement national et les forces d’extrême droite d’autre part». Ils demandent également aux deux organisateurs, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, «de déclarer publiquement que les forces d’extrême droite ne sont pas les bienvenues», tout en précisant qu’ils seront présents ce dimanche.
Tout cela laisse Marine Le Pen «de marbre», glisse un de ses lieutenants. L’ancienne candidate RN à la présidentielle a décidé «à l’instant où elle a pris connaissance de la lettre ouverte» des deux présidents du Parlement d’être à la manifestation. En réalité, souligne un de ses proches, «il aurait été impensable qu’on ne soit pas à la marche».
Invitée de RTL ce mercredi matin, la chef de file des députés RN a même appelé «l’ensemble de nos adhérents et de nos électeurs à venir se joindre à cette marche». Elle assure être prête à défiler «en queue de cortège», si ça présence dérangeait. A-t-elle senti que la polémique commençait à enfler? «Si Marine Le Pen doit se retrouver en fin de cortège, elle sera au moins, elle, au milieu des Français, là où est sa place», balaye Renaud Labaye, son bras droit à l’Assemblée nationale.
Au RN, on refuse de croire que la faute de carre de Jordan Bardella dimanche dernier est à l’origine des réactions politiques. «Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite», avait-il déclaré sur BFMTV, provocant une bronca. Dans l’entourage du président du RN, on peste contre des propos tronqués. Dans une interview au JDD, il est en tout cas revenu sur cet épisode: «Jean-Marie Le Pen a été condamné pour des propos que je réprouve, et qui sont inacceptables», dit-il.
La polémique autour de la présence du RN à la «grande marche civique» aura aidé les Insoumis. Dans un communiqué envoyé à la presse mercredi matin, le mouvement mélenchoniste et son groupe à l’Assemblée ont confirmé qu’il ne faudrait pas compter sur eux pour cette marche. Les Insoumis ne souhaitent pas joindre leurs pas à ceux des élus du Rassemblement national.
«Lutter contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme est impraticable aux côtés d’un parti qui trouve ses origines dans l’histoire de la collaboration avec le nazisme», veulent-ils dénoncer. Ajoutant: «Et quelle hypocrisie de prétendre dénoncer l’antisémitisme aux côtés de responsables politiques qui ne cessent de prendre prétexte de la religion de chacun pour en faire un sujet de discrimination indigne!»
Mercredi soir, certains Insoumis poussaient pour l’organisation d’une «initiative alternative». Au regard des récentes prises de position de Jean-Luc Mélenchon, personne n’a, en attendant, été surpris que le chef des Insoumis refuse de participer au rassemblement de dimanche.
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Dans un tweet posté mardi soir, l’ancien candidat à l’élection présidentielle a même considéré que la lutte contre l’antisémitisme n’était qu’un «prétexte» pour organiser ce qu’il perçoit comme le «rendez-vous» des «amis du soutien inconditionnel au massacre» dans la bande de Gaza.
Sans surprise, cette nouvelle sortie a provoqué, encore une fois, une nouvelle vague d’indignation au sein de toute la classe politique. Élément notable: son tweet a d’ailleurs été très peu relayé par le premier cercle mélenchoniste. «Avant, tout le monde reprenait immédiatement les tweets de Jean-Luc. Désormais, quand il se retourne, il voit que plus personne n’est là pour le soutenir. C’est quelque chose de nouveau à La France insoumise», observe une députée. Cette fois, le RN lui a volé la vedette.