Chez LR, à l’approche des élections européennes, les calculs politiques vont bon train, le bal des prétendants bat son plein et, pendant ce temps, un eurodéputé parle de la beauté à l’Olympia. Ce 9 octobre, François-Xavier Bellamy a les lettres rouges de son nom sur la façade de la mythique salle parisienne. Dehors, ceux qui viennent assister à cette «Soirée de la philo» piétinent, patientent, occupant le boulevard des Capucins pratiquement jusqu’à l’Opéra Garnier. Curieuse ambiance, entre meeting et seul en scène. Quel Bellamy les spectateurs sont-ils venus écouter ? L’homme politique ou l’agrégé de philosophie ? Ce soir, de nouveau, Bellamy refuse de trancher.

Devant une salle de 2000 places quasi pleine, c’est en bras de chemise qu’apparaît l’eurodéputé, entre l’ombre et la lumière d’une mise en scène épurée. La veste et la cravate, elles, sont restées à Bruxelles. Sont mis à l’honneur les penseurs, de Platon à Bergson, de Montaigne à Nietzsche. Une sorte d’itinéraire philosophique à travers les âges, tel que l’organise l’eurodéputé depuis dix ans, rythmé par les interludes d’une violoncelliste arménienne. Une semaine plus tôt, Bellamy assurait que la soirée ne serait pas un événement politique, assumant ce «pas de côté» alors que LR tarde à désigner sa tête de liste. Il n’empêche, les textes ont été choisis avec minutie. Et, pour ceux qui voudraient y lire des messages politiques, laissent libre l’interprétation. «Il y a quelques clins d’œil politiques», glisse la numéro 2 du parti, Annie Genevard, venue l’écouter.

Ainsi Socrate, et son combat contre les sophistes, est-il convoqué pour dresser la critique de ceux «qui enchaînent les bons mots, les vendeurs d’opinion, les vendeurs d’éléments de langage» ; Péguy, pour se dresser contre «le monde du relativisme où il n’y a plus de place que pour les pensées toutes faites» ; ou encore, le stoïcisme pour éduquer ceux que l’imparable cours des choses inquiète. «Si on peut ni rechercher ni éviter ce qui nous arrive, alors nous devons y être absolument indifférents», lance Bellamy. «Si je sors de scène en me disant que je me suis foiré, je passerai au stoïcisme.» A-t-il, en 2019, tandis que la liste LR aux européennes a réuni un décevant 8% des voix, suivi les préceptes d’Épictète ? Au siège du parti, Bellamy avait reconnu que la droite «n’avait pas réussi» à convaincre d’une «espérance avec la France». Avant de se faire une raison et diriger malgré tout la délégation française du groupe PPE au Parlement européen.

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Depuis, quatre ans ont passé et tous reconnaissent chez LR le travail mené par l’eurodéputé. Reste à savoir si c’est suffisant pour, d’ici à 2024, faire face à Jordan Bardella et Marion Maréchal. «Personne ne doute de son intelligence», fait remarquer un élu de droite. «Mais est-il vraiment devenu un animal politique ?» Il ajoute : «Il vit dans le monde des idées, très bien. Et puis ?» A l’Olympia, Bellamy, qui assume auprès du Figaro une «revanche» à prendre, répond à sa manière : «La philosophie dérange et elle doit déranger. En cela, elle nécessite l’adversité.» Et ce n’est pas Jean-Louis Thiériot qui dira le contraire : «Au sens pascalien, la politique relève de l’ordre de la chair, la philosophie de l’ordre de l’esprit.» Le député LR précise : «On ne peut déduire l’un de l’autre. Ou alors, on s’aveugle.» David Lisnard, venu incognito, prend place dans les quinze premiers rangs. Le maire de Cannes, proche de Bellamy, est lui aussi convaincu du mariage heureux de la philosophie à la politique : «C’est un enjeu majeur de société car nous devons retrouver une vie civique de qualité. Il faut apprendre à nos enfants à décoder la vie plutôt que l’informatique.» Évidemment, dans son immense majorité, le public présent à l’Olympia lundi soir est un public acquis, bellamyste dans l’âme, sensible aux messages du parlementaire européen. «Ceux qui ne font que de la politique me semblent un peu limités», lâche ce cadre de 56 ans. «Il a gagné en maturité et a une vraie colonne vertébrale», apprécie cette mère de famille qui aimerait toutefois que le philosophe de l’Olympia soit mieux armé pour «descendre dans la jungle politique». Trop «gentil», trop «bien élevé», «il devrait être un peu plus Sarkozy sans l’être totalement», conseille-t-elle. On l’imagine mal, à le voir sur scène, pas le moins du monde intimidé, tantôt accoudé à une table sur laquelle reposent des livres, tantôt assis sur l’estrade. Ce n’est visiblement pas dans cet héritage de la droite que s’inscrit Bellamy.

L’anthologie, parfois, laisse échapper un doute chez le philosophe. «Comme nos débats d’aujourd’hui retrouveraient de leur sens si nous adoptions l’exigence socratique, si nous pouvions éviter le pire : une pensée toute faite, invulnérable à la correction…», médite Bellamy. Avant d’ajouter : «Comme nos discussions politiques retrouveraient toute notre grandeur… Mais peut-être y a-t-il là une forme d’idéal.» Et, un peu plus tôt, cette phrase surprenante: «Platon disait que les philosophes perdent toujours les élections.» Un aveu ? Une crainte ? L’on retrouve, en creux, l’homme de 2019 qui, demandait «pardon» aux militants LR. Quand certains, à droite, observent là une forme d’humilité, d’autres en revanche s’inquiètent encore de cette tendance d’«autoflagellation», dixit un eurodéputé.

Bellamy ne mentait pas : l’événement n’était pas purement politique. Mais il a dit quelque chose de l’homme. Et en l’écoutant, l’on s’interroge : la philosophie impose un rapport au temps particulier. Elle impose la mesure des siècles. Quand le temps d’une campagne politique, lui, est circonstanciel. Alors, où Bellamy se trouve-t-il ? À l’entendre, tout ceci n’est pas inconciliable. «Comment se fait-il que dans ce monde, où tout est fait pour diffracter l’attention, il y ait toujours autant de gens pour venir puiser à la source de la philosophie ?», lance-t-il au public. La réponse : «Elle éclaire le présent.» Et «se confronter à la grandeur», c’est faire «acte de résistance».

En conclusion, Bellamy médite sur un texte de Simone Weil, L’Enracinement, et se tourne vers l’avenir. «De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé, de replonger dans les textes les plus anciens, dans cette histoire magnifique qui a fait ce que nous sommes et à laquelle nous devons l’avenir que nous écrirons demain.» Sourire en coin, il lâche : «Quant à savoir si nous sommes capables de relever le défi… Cela, c’est encore une autre question.»