Dans les années 80, la question migratoire suscitait déjà des polémiques chez les politiques français. Lors de débats ou d’interviews télévisées, le sujet était régulièrement abordé. Bien évidemment, les interventions variaient selon la famille politique d’origine. La droite appelait à durcir les conditions d’accueil, tandis que la gauche plaidait à l’élargissement des droits des immigrés. Mais certaines prises de position de l’époque pourraient en surprendre plus d’un aujourd’hui.
«Il y a les immigrés (…) qui n’ont pas envie de devenir français, et qui veulent rester attachés à leur pays d’origine. (…) Et puis il y a ceux qui sont là avec leur contrat de travail et leur carte de séjour. Est-ce qu’il y en a trop ? (…) Le gouvernement Mauroy a pris des dispositions pour faciliter leur réinsertion dans leur pays d’origine, leur donnant certains avantages pour qu’ils puissent, d’eux-mêmes, partir. C’est-à-dire, qu’il faut réduire le nombre».
Alors que la Nupes fustige le projet de loi du gouvernement Borne, il parait difficile d’imaginer que ces paroles aient été prononcées par le premier président socialiste de la Ve République. Et pourtant, il s’agit bien de propos tenus par François Mitterrand lors du débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 1988.
Un an et demi plus tard, une séquence similaire se reproduit. Interrogé sur la question migratoire, il affirme que «le seuil de tolérance [du nombre d’immigrés présents en France] a été atteint dès les années 1970». Une phraséologie qui semble aujourd’hui mettre mal à l’aise ses héritiers.
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«Sans aller jusqu’à dire que je suis choquée, je ne partage absolument pas cette vision», formule avec hésitation la députée écologiste Sandrine Rousseau qui réaffirme être favorable à l’accueil des immigrés, et ce, quel que soit leur statut.
Plus nuancé sur la question, le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj «ne prend pas pour argent comptant cette phrase» qui implique, selon lui, «une dimension de quantification qui signifierait qu’il y ait une sorte de plafond fixé par la puissance publique».
«Ça n’a pas de sens de dire qu’il y avait trop. Valéry Giscard d’Estaing disait à l’époque que le seuil de tolérance du nombre chômeurs avait été atteint. Et pourtant, on est passé depuis de 300 000 chômeurs à plus de 3 millions», surenchérit Sandrine Rousseau. Soucieuse toutefois de ne pas dégrader la mémoire du réunificateur de la gauche, l’écoféministe veut croire à des «éléments de langage politiques».
Seulement, les séquences médiatiques qui tournent encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux, ont été précédées d’actions concrètes qui ont contribué à diminuer le nombre d’arrivées d’immigrés. Sur la période 1982-1990,la part d’immigré dans la population française a même diminué passant de 7,4 à 7,3%. Or, pour ceux qui se souviennent de la campagne présidentielle de 1981, et des premiers mois de François Mitterrand à l’Élysée, ces chiffres peuvent surprendre.
Et pour cause, après son élection en 1981, la politique migratoire a été très largement assouplie. L’État régularise plus de 130 000 sans papiers. Mais le virage économique de 1983 change la donne, et signe le retour à l’austérité. Le chômage progresse de 5,5 à 7,3% entre 1980 et 1983. Pour le gouvernement, il devient désormais de plus en plus compliqué de justifier de nouveaux afflux d’immigrés.
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«Ce que je sais, c’est que dans les années qui ont précédé 81, il y a eu une formidable aspiration à faire venir chez nous des immigrés sans doute parce qu’on les payait moins bien que les autres, moins bien que travailleurs les Français», assène François Mitterrand à Jacques Chirac lors du débat de 1988. Le président-candidat reproche notamment au camp de son adversaire – la droite, de l’UDR au RPR en passant par l’UDF – d’être «allé les chercher par charter, et par camions tout entier» des immigrés et de «les [avoir] déversés en France dans nos grandes usines, particulièrement de la région parisienne».
Un discours qui n’est pas sans rappeler celui de Jean Jaurès, qui dénonçait au début du XXe siècle le «capitalisme international» qui est allé «chercher sa main-d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie (…), pour la jeter (…) sur le marché français et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas». Dont acte.
Dès 1983, les vérifications d’identité et les contrôles sont renforcés. L’année suivante, une politique d’incitation aux départs volontaires, inspirée du «million Stoléru», est instaurée par le gouvernement Mauroy sous l’appellation «d’aide à la réinsertion».
«Virage réaliste», «revirement», ou encore «tournant». L’ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali réfute chacun de ces termes. «L’attitude de François Mitterrand sur l’immigration a toujours été la même. Elle était à la fois très ambitieuse et très raisonnable. Ambitieuse dans la mesure où il pensait qu’il fallait donner tous les droits aux étrangers». Raisonnable, peut-être parce qu’à l’instar de son premier ministre Michel Rocard (1988-1989), François Mitterrand avait conscience que la France n’était pas en mesure d’accueillir «toute la misère du monde».
Mais surtout, Jacques Attali insiste sur ce qu’il qualifie comme «l’obsession de Mitterrand» : l’intégration. «Il en parlait tout le temps : l’intégration par le travail, par l’école, par le droit de vote également, pour les municipales». Et de déplorer que la Nupes aujourd’hui n’y accorde pas la même importance. «Il y a un échec de l’État dans l’intégration des populations des quartiers, et la gauche n’en fait plus son fer de lance».
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Une vision à laquelle Sandrine Rousseau ne souscrit pas. «Je ne pense pas que l’on puisse dire, en ayant plus d’un Français sur quatre avec un grand-parent étranger, qu’il y ait eu un échec de la politique d’intégration». Pour elle, le problème relève plutôt d’un manque d’investissement dans les quartiers populaires.
Mais le socialiste Jérôme Guedj se dit persuadé que «les débats seraient mille fois moins virulents si on avait eu derrière nous vingt ans de politique d’intégration». D’autant plus qu’il est selon lui, «davantage question d’un problème d’intégration que d’immigration en tant que telle». Et d’ajouter : «Les enjeux de l’époque ne sont pas totalement différents. Il faut mettre plus d’effort dans la politique d’intégration des populations immigrées».