Les rares fois où l’on a vu Emmanuel Macron porter une couronne sur la tête, c’était lors des manifestations des gilets jaunes. À Paris notamment, les représentations outrageantes du chef de l’État affublé des attributs monarchiques ont fleuri, allant jusqu’à grimer le président de la République sous les traits de Louis XVI – parfois, la tête couronnée du chef de l’État était même suspendue à une potence ou une guillotine.

Manière de dire qu’en France, même si des historiens politiques ou des juristes évoquent parfois la dimension monarchique de la Vème République, l’allusion à l’Ancien régime est rarement une marque d’affection à l’endroit du chef de l’État – mais le plus souvent une critique politique épinglant un exercice du pouvoir jugé autoritaire. La République et la Révolution ont partie liée : «l’une est la fille, l’autre est la mère» déclame Victor Hugo en 1851 devant l’Assemblée législative. Les aristocrates à la lanterne, et quant aux présidents, mieux vaut qu’ils restent tête nue s’ils ne veulent pas y passer à leur tour.

Pourtant, ce vendredi 5 janvier, en vertu d’une tradition médiévale importée tardivement à l’Élysée, Emmanuel Macron recevra les représentants des boulangers et pâtissiers du pays pour la cérémonie de la galette de l’Épiphanie. Associée à la célébration des rois mages qui visitèrent l’enfant Jésus dans la crèche, la coutume qui désigne aléatoirement un roi parmi les convives ayant mangé une part de galette s’inspire d’une fête païenne de Rome, les Saturnales, au cours de laquelle le roi d’un jour était tiré au sort.

Mais les Bourbon ont donné à ce rite lointain une signification plus pieuse : le duc Louis II, rapporte son biographe, désignait chaque année à l’Épiphanie un petit roi parmi les enfants en bas âge, qui était revêtu du costume du sacre puis convié à dîner à sa table. Un geste d’humilité que la monarchie catholique a perpétué : à la cour de Louis XIV aussi, on a tiré les rois. Toutefois la tradition d’offrir, aux dames ayant trouvé la fève, la faveur de demander un vœu au roi, fut abolie par Louis XIV : il ne faut pas non plus exagérer, le roi, ça restait lui.

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Arrive la prise de la Bastille : dans le tourbillon révolutionnaire, une haine féroce des moindres insignes de la monarchie honnie s’abat sur le pays. On rebaptise même les communes : le Grau-du-Roi devient Grau-le-Peletier, Bourg-le-Roi dans la Sarthe devient Bourg-la-Loi… Forcément, le jour «des rois» n’allait pas le rester longtemps. La Commune de Paris prend un arrêté le 31 décembre 1791 : ce sera désormais le «jour des sans-culottes». Sous la Convention, Pierre-Louis Manuel tente même de faire interdire la galette. Les révolutionnaires, gourmands, trouvent une parade : en 1794, un décret transforme l’Épiphanie en une «fête du Bon Voisinage» et ce jour-là, les Français partagent désormais… une «galette de l’Égalité». Qu’importe la couronne pourvu qu’on ait la frangipane.

Dans ces conditions, on comprend tout le dilemme qui se pose au service du protocole de l’Élysée, quand Valéry Giscard d’Estaing décide de rétablir la tradition de la galette. Emmanuel Macron n’aura certes qu’assez peu de chances de tomber sur la part renfermant la fève : Jean-Yves Boullier, le gérant de la boulangerie du Moulin de la Croix Nivert qui est chargé depuis trois ans de confectionner la galette élyséenne, a livré une pâtisserie feuilletée et bourrée de frangipane, de plus d’un mètre de diamètre !

Mais si malgré tout il trouvait la fève ? Verrait-on le président de la République se coiffer d’une couronne, devant les objectifs photo de tous les journalistes ? En réalité, non, aucun risque : le pâtissier n’a tout simplement pas mis de fève. D’ailleurs l’Élysée ne parle pas de «galette des rois», mais seulement de «galette».

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Emmanuel Macron s’en amuse d’ailleurs régulièrement : évoquant l’an passé une «superstition républicaine», il avait rappelé qu’il «n’y a pas de roi à l’Élysée». Ce qu’il semblait presque regretter, d’ailleurs, en 2015, quand il déclarait dans un entretien au 1 Hebdo : «Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là !»

Aucun des ministres présents cet après-midi pour la cérémonie à l’Élysée (Olivier Dussopt, Marc Fesneau, Carole Grandjean) ne pourra donc compter sur la fève pour espérer monter sur le trône… de Matignon.