Envoyé spécial à Montastruc-de-Salies

Seize jours après s’être installé à Matignon, dont la moitié à faire face à un mouvement national de colère des agriculteurs, Gabriel Attal savait qu’en s’adressant à eux, vendredi, il n’avait pas le droit à l’erreur. Alors, c’est dans une exploitation de Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne), au cœur de l’Occitanie, où a démarré à bas bruit dès novembre le mouvement On marche sur la tête, que le premier ministre a proclamé «le jour du sursaut» de l’agriculture française. Pour éteindre la première crise d’ampleur qu’il a à gérer, le chef du gouvernement a promis «du concret, du solide». Dans cette commune de 300 habitants au pied des Pyrénées, où les électeurs de Jean Lassalle (15,84 %) tutoient ceux de Jean-Luc Mélenchon (26,70 %) et Emmanuel Macron (20,81 %), Gabriel Attal a présenté sa panoplie de mesures qu’il a concoctée avec ses ministres, dont Marc Fesneau (Agriculture) et Christophe Béchu (Écologie), présents avec lui. Annulation de la hausse du gazole non routier agricole, «choc de simplification», plafonnement des contrôles administratifs, ouverture d’un guichet pour accompagner les exploitations frappées par la maladie hémorragique épizootique, mise sous pression des industriels de l’agroalimentaire, négociations européennes pour revoir les normes sur les jachères, assouplissement des projets pour la gestion de l’eau, remise en cause des normes «qui n’ont pas de sens»… «Message reçu cinq sur cinq. Je vous ai entendus (…), personne ne sait mieux que vous comment faire votre métier. Il faut déverrouiller, libérer, simplifier. Et laisser nos agriculteurs respirer», a affirmé le chef du gouvernement, entouré d’une poignée d’exploitants attentifs autour de ballots de paille. «On va agir sur tous les fronts: normes, simplification, Europe, fiscalité, rémunération du travail. (…) On va se battre tous ensemble», a proclamé Gabriel Attal dans un cadre soigneusement concocté par Matignon pour éviter les accrochages.

Jusqu’au bout, les modalités de la visite du premier ministre ont été gardées secrètes par une équipe de communication fébrile. L’éleveur de 250 bovins Ludovic Calvet a reçu le matin même l’appel de Matignon lui annonçant la visite immiInente du premier ministre. «J’ai cru à une blague», dit ce manifestant en accueillant la presse dans son exploitation installée face aux montagnes. Comme nombre de ses collègues, l’homme, qui peine à se verser un salaire, «espérait» être convaincu par le nouveau chef du gouvernement.

Malgré les mots conciliants de Gabriel Attal à leur égard tout au long de la semaine, les agriculteurs attendaient le premier ministre sans lui promettre de décréter trop facilement la fin du mouvement. «Il ne faut pas faire que de la communication, dans la vie. Il faut prouver. Il vient nous rencontrer, c’est respectable, mais pour qu’il soit respecté il faut qu’il tienne ses engagements», prévenait le matin même sur BFMTV le leader de ce mouvement spontané, Jérôme Bayle, depuis un point de blocage de la région. Alors que mouvement gagnait encore en intensité, puisque des tracteurs commençaient à enserrer Paris, Gabriel Attal était attendu vendredi soir sur un barrage, à Carbonne, en Haute-Garonne. Entre-temps, le premier ministre a téléphoné pendant vingt-cinq minutes à l’égérie de la protestation. «Il est au courant de ce que j’attends de lui», confiait celui-ci un peu plus tard à Montastruc-de-Salies, où il avait fait le déplacement pour rencontrer Gabriel Attal. «On s’est dit les choses. Après, on verra, on attend la fin du match» pour statuer sur la suite du mouvement, expliquait Jérôme Bayle, barbe épaisse et casquette jaune. À l’issue de la prise de parle du premier ministre, le leader de la fronde en Haute-Garonne a annoncé qu’il levait son blocage sur l’A64.

Depuis le début de la contestation, l’exécutif marche sur des œufs. La veille, sur TF1, Gérald Darmanin a assumé un certain laisser-faire face aux blocages. «On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS», a dit le ministre de l’Intérieur. À ses yeux, «les agriculteurs ont le droit de revendiquer» leur souffrance. Quitte à fermer 400 kilomètres d’autoroutes dans le sud du pays. «Il y a des colères saines mais aucune violence justifiée», a toutefois nuancé le premier ministre alors que le ton monte lors de certains rassemblements. À l’issue d’une énième réunion ministérielle, Bruno Le Maire – qui n’était pas présent à Montastruc-de-Salies – a annoncé une vigilance accrue de l’État quant au respect de la loi EGalim, votée lors du précédent quinquennat pour garantir un juste prix aux agriculteurs. Le ministre de l’Économie «ne laissera» aux industriels de l’agroalimentaire «que quelques jours pour se conformer à la loi, faute de quoi ils seront sanctionnés à hauteur de 2 % de leur chiffre d’affaires», a-t-il assuré.

Les pieds dans la terre et la paille, à 1200 kilomètres de Bruxelles, Gabriel Attal a certifié devant les exploitants du département qu’il veut «protéger notre héritage et notre identité» et s’opposer «aux injonctions contradictoires». Il promet de «protéger contre la concurrence déloyale» si contestée par les fermiers, insistant sur l’opposition de la France à la signature de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur.

Un mois avant le Salon de l’agriculture et surtout cinq mois avant les élections européennes, le premier ministre citadin n’a pas lésiné sur les gestes d’apaisement avant de déambuler au milieu des gasconnes des Pyrénées à la robe grise. Le temps presse pour le trentenaire. Si la contestation n’était pas close à l’issue du week-end, c’est sa déclaration de politique générale, mardi prochain, qui risquerait d’être éclipsée. Sûrement n’imaginait-il pas être plongé si vite dans l’enfer de Matignon.