La troisième communication du premier ministre sur la crise agricole sera-t-elle la bonne? «Je ne crois pas une seconde qu’un seul agriculteur ne se complaît dans des blocages», a soutenu Gabriel Attal, jeudi, à l’issue d’une conférence de presse convoquée en urgence à Matignon. Les tracteurs des paysans en colère venus de tout le pays entourent alors la capitale, certains imaginant même entrer dans Paris et se positionner devant l’Assemblée nationale. Tandis qu’à Bruxelles, où se tient un Conseil européen, les dirigeants du continent pouvaient apercevoir la révolte contagieuse gronder non loin du Berlaymont.

C’est dans ce contexte de tension croissante (plus de 90 agriculteurs ont été placés en garde à vue en voulant s’introduire dans le marché international de Rungis) que le premier ministre a présenté des «mesures fortes et claires» pour «produire et protéger» mais surtout répondre à un «malaise qui vient de loin». À commencer par une enveloppe de 150 millions d’euros d’aides «pérennes» pour l’élevage visant à apporter un «soutien fiscal et social» aux éleveurs. Les modalités doivent encore être discutées avec les filières concernées.

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Alors que Gabriel Attal avait déjà annoncé l’annulation de la hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR) lors d’un déplacement vendredi dernier en Occitanie, il a confirmé que sa décision serait rétroactive. Les agriculteurs vont pouvoir demander le remboursement partiel de la taxe et les versements seront effectués dans les deux semaines. À partir de juillet, la ristourne dont ils bénéficient sur le GNR sera efficiente à l’achat et non plus sur présentation de justificatifs a posteriori.

Autre mesure fiscale significative, Bruno Le Maire, qui participait à la conférence de presse avec ses collègues Marc Fesneau (Agriculture) et Christophe Béchu (Écologie) a annoncé «le relèvement de tous les seuils d’exonération sur les transmissions» des exploitations. «Assurer le renouvellement des générations, c’est le moyen le plus sûr de maintenir notre agriculture dans la durée, et donc notre identité française», a martelé le premier ministre, qui, depuis le début de la crise, lie agriculture et identité. Ainsi, il a rappelé son intention d’inscrire dans la loi que l’agriculture présente un «intérêt fondamental pour la nation».

Gabriel Attal a promis de doubler les contrôles des industriels de l’agroalimentaire pour s’assurer de l’application des lois EGalim votées lors du quinquennat précédent, destinées à protéger les agriculteurs lors des négociations commerciales. «Nous serons intraitables» avec «les entreprises qui ne respectent pas EGalim», a affirmé le chef du gouvernement. Qui promet aux paysans de les protéger de «la loi de la jungle et de la concurrence déloyale».

«Le travail va se poursuivre», a indiqué Gabriel Attal, alors que le débat sur le calcul des retraites agricoles sur les 25 meilleures années est attendu après la publication du rapport du député LR Julien Dive. De son côté, Christophe Béchu présentera un plan eau prochainement, au moment où la gestion de la ressource est au cœur d’importantes tensions dans de nombreuses régions. «Nous allons remettre sur l’ouvrage le plan Ecophyto, le mettre donc en pause, le temps d’en retravailler un certain nombre d’aspects, de le simplifier», a indiqué pour sa part Marc Fesneau, face à la grogne des cultivateurs qui s’étonnent de devoir respecter des normes strictes qui ne sont pas imposées à leurs concurrents européens. Le chef du gouvernement a annoncé une «clause miroir» en interdisant l’importation en France de fruits et légumes traités avec du thiaclopride, banni par l’UE.

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Le gouvernement, qui multiplie les clins d’œil bienveillants au monde agricole en fustigeant les écologistes, a dit vouloir sévir face à la promotion de la viande de synthèse. Et accélérer l’examen au Sénat de la proposition de loi de la députée Nicole Le Peih (Renaissance) visant à protéger les exploitants des plaintes pour troubles de voisinage. «Quand on choisit la campagne, on l’accepte et on l’assume», a martelé Gabriel Attal, élu des Hauts-de-Seine.

Avant l’ouverture du Salon de l’agriculture dans un peu plus de trois semaines, le premier ministre «croit profondément» que ces mesures «sont de nature à répondre à une grande partie des attentes» même s’il «faut du temps pour convaincre». Dans la foulée des annonces du premier ministre, les syndicats majoritaires FNSEA et Jeunes Agriculteurs ont appelé à suspendre les blocages d’agriculteurs. Mais les organisations restent sur leurs gardes. «Nous allons voir si ces annonces sont du toc», a prévenu le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau. «Personne ne doit considérer que c’est terminé ce soir», a dit le puissant représentant, qui est confronté à une base très déterminée et à la mobilisation des syndicats plus radicaux que le sien. La Coordination rurale, que l’exécutif présente comme guidée par le Rassemblement national, a appelé à poursuivre les barrages.

Au total, ce sont 400 millions d’euros qui ont été débloqués par l’exécutif pour répondre à la crise. «C’est un investissement», a plaidé Gabriel Attal, l’ancien ministre des Comptes publics. Ajoutant: «Un éleveur qui arrête, c’est de la vie qui part d’un village, c’est de l’activité économique en moins. Il faut le mesurer aussi.»Pour le premier ministre, qui cherche à convaincre personnellement «la France de l’effort qui ne compte pas ses heures», la gestion de cette première crise revêt des enjeux politiques importants.

«Beaucoup de choses doivent bouger au niveau européen (…). L’Europe doit être facteur de protection et de souveraineté et non l’inverse», a-t-il prévenu, en assurant «mettre fin à toute naïveté, tout laisser-faire et à l’arrivée de règles et de normes dont nous ne voulons plus», au moment où le chef de l’État rencontrait ses homologues à Bruxelles à moins de cinq mois des élections européennes. Emmanuel Macron a demandé à la Commission des «simplifications» avant la fin du mois. Et un contrôle des importations de céréales ukrainiennes. Pour l’exécutif, c’est une première manche du scrutin de juin qui se joue maintenant.