Toulouse

«Autoroute Toulouse-Castres. Quinze minutes de gagnées, des milliers d’arbres massacrés», dénonce la banderole du collectif La Voie Est Libre au bord de la route nationale 126, devant le campement d’une trentaine d’écologistes, à Vendine (Haute-Garonne). Après l’opposition violente à la «méga-bassine» de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, la construction de 62 kilomètres d’autoroute entre Castelmaurou (Haute-Garonne) et Castres (Tarn) est le nouveau combat des militants écologistes.

Des milliers de manifestants en provenance de toute la France sont attendus ce week-end, à l’appel de La Voie est libre, des Soulèvements de la terre, d’Extinction Rebellion Toulouse et de la Confédération paysanne. Des élus écologistes et des députés LFI seront présents. «L’autoroute Toulouse-Castres sera le nouvel objectif de l’ultragauche», avait indiqué Gérald Darmanin après les affrontements à Sainte-Soline. Mais les autorités s’attendraient à moins de manifestants dans le Tarn, de l’ordre de 1500 personnes, dont 50 à 100 activistes violents. Les organisateurs, eux, insistent sur la nature pacifique du rassemblement. «On organise des ateliers et des concerts, on ne veut pas que les gens revivent le traumatisme de Sainte-Soline, souligne Nicolas (*), jeune militant d’Extinction Rebellion Toulouse. Mais ça dépendra de la répression policière».

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Signe de bonne volonté, la Confédération paysanne du Tarn et Attac ont déclaré la manifestation à la préfecture. Le rassemblement aura lieu dans le village de Saïx (Tarn), à l’entrée de Castres, dans un champ «mis à disposition par un particulier menacé d’expropriation». Moment fort du week-end: la grande «marche déterminée», samedi à 14 heures. La préfecture a interdit les attroupements devant la sous-préfecture de Castres et l’usine du groupe pharmaceutique Pierre Fabre à Soual. «Les services de l’État n’accepteront pas les atteintes au concessionnaire Atosca (…), à l’intégrité des bâtiments publics et de certaines entreprises, ni la mise en place d’installations pérennes», a prévenu le préfet du Tarn, François-Xavier Lauch, qui a mobilisé huit unités de forces mobiles en renfort du groupement de gendarmerie et de la sécurité publique départementale.

Dans le Tarn, le rassemblement ravive le souvenir tragique de l’opposition au barrage agricole de Sivens, où Rémi Fraisse, 21 ans, avait été tué par une grenade en octobre 2014. Depuis, la construction du barrage a été abandonnée.

Le projet d’autoroute pour désenclaver le bassin de Castres et de Mazamet, dernières villes moyennes de la région toulousaine non desservies par une route rapide, est porté depuis trente ans par les élus locaux et le groupe Pierre Fabre, qui emploie 2000 personnes dans le Tarn. Il a fait l’objet d’un débat public en 2009 et de deux déclarations d’utilité publique en 2017 et 2018, avant que l’ancien premier ministre Jean Castex en fasse une «priorité nationale» en 2019. L’État ne voulant pas financer la mise à quatre voies de la route nationale – seules deux déviations ont été réalisées sur 10 kilomètres – il a concédé la construction de l’autoroute A69 et son exploitation pendant 55 ans à la société de projet Atosca, constituée par le constructeur NGE Concessions avec le gestionnaire d’autoroutes portugais Ascendi. Après l’avis favorable de l’enquête publique environnementale, en février 2023, les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn ont accordé les autorisations de travaux le 2 mars.

Atosca construira, d’ici à 2025, 53 kilomètres de cette autoroute, avec quatre échangeurs, en reprenant les portions déjà élargies pour un coût de 450 millions d’euros HT, dont 23 millions de subventions publiques. En même temps, Vinci élargira à quatre voies la bretelle de 9 km entre l’autoroute Toulouse-Albi et la future A69, à Verfeil, pour 80 millions d’euros HT. L’autoroute fera gagner 25 minutes de trajet entre Castres et Toulouse. «Mais en 2023, on ne peut plus détruire 400 hectares de terres agricoles, de bois et de zones humides pour construire une autoroute parallèle à la route nationale!, s’emporte Gilles Garric, membre du collectif La Voie est libre. Le trafic ne justifie en rien une 2 ×2 voies. On aura au final six voies pour 7000 véhicules par jour (8000 selon l’État, NDLR), c’est ridicule!» Une centaine d’agriculteurs sont impactés par le tracé. À la place, les opposants proposent d’aménager la route nationale «pour six fois moins d’argent».

La chambre de commerce et d’industrie du Tarn pense au contraire que l’autoroute arrêtera le déclin démographique de ce bassin de 130.000 habitants. «Pendant que l’arrondissement de Castres perdait régulièrement de la population, des activités économiques et des emplois, les agglomérations voisines, comme Montauban, Albi et Cahors, étaient en nette progression, relève la CCI. À cela une seule raison: l’existence d’une liaison autoroutière les reliant à l’agglomération toulousaine». Trois cent vingt entreprises du Tarn ont signé un manifeste en faveur de l’autoroute, dont le groupe de transport Castan. «Notre activité ne s’est pas développée à Castres à cause de l’absence d’autoroute alors qu’elle augmente à Béziers, affirme son cogérant, Mathurin Castan. Et c’est incomparable pour la sécurité.»

Un sondage Odoxa réalisé pour Atosca indique que 75 % des habitants soutiennent la construction de l’A69. Les habitants du sud du Tarn se sentent délaissés par rapport à la préfecture, Albi, reliée à Toulouse par une autoroute quasi gratuite depuis trente ans. «La construction de l’A68 entre Toulouse et Albi a été un accélérateur pour le nord du Tarn, on le voit autour de Gaillac», souligne le président du conseil départemental, Christophe Ramond (PS).

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Outre le prix du péage, d’environ 17 euros pour un aller-retour Castres-Toulouse en voiture, les opposants dénoncent surtout l’atteinte à l’environnement. «Ce projet n’est pas en ligne avec l’objectif de l’État de zéro artificialisation nette de terres», dénonce Nicolas, en rappelant que l’Autorité environnementale a jugé le projet obsolète dans son avis d’octobre 2022.

Atosca répond que cette autoroute du XXI siècle sera exemplaire pour le développement durable. «On coupera 200 arbres d’alignement et on en replantera 400, dit Martial Gerlinger, directeur général d’Atosca. Moins de 10 hectares de boisement seront coupés et on replantera 25 hectares. Si on avait élargi la route nationale, on aurait coupé beaucoup plus d’arbres.» «Mais il faudra attendre 130 ans pour avoir la même masse foliaire!», peste Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres, bien décidé à rester perché sur un platane, à Vendine.

(*) Le prénom a été modifié.