Après, ça a été l’engrenage. Pour ses 12 ans, on lui a offert un Nikon F1. Depuis, le fils cadet de la famille n’a pas arrêté de mitrailler tout ce qui l’entourait. Ses parents ont eu la bienheureuse sagesse de ne pas contrarier sa vocation. Masashi s’est inscrit dans une école spécialisée à Osaka. C’est le métier qui rentre. Le garçon en est revenu les cheveux décolorés et les bras couverts de tatouages. On ne sait pas quoi faire de lui. Il se chamaille avec son frère. Une idée toute bête lui vient à l’esprit. Il va prendre ses proches dans des accoutrements variés, dans les situations de leur choix.
Alors voici les Asada en pompiers, en yakuzas, en footballeurs, en restaurateurs. Ils apparaissent aussi en combinaison de plongeur, avec l’attirail des cambrioleurs ou en tenue de super-héros (un peu flapis, les héros en question). Cette initiative les transforme en célébrités. Il faut trouver un éditeur pour réunir tous ces clichés Et une exposition? Si une galerie accueillait tous ces portraits de groupe?
Très vite, les clients se bousculent devant l’objectif de Masashi. Il y a des couples. Ils sourient sous une pluie de fleurs de cerisiers. Un enfant cancéreux est immortalisé. Telle est la première partie de ce film délicat, d’une douceur inhabituelle, avec quelque chose de touchant, de quotidien. L’histoire bascule avec le tsunami de 2011.
Masashi promène sa silhouette dans des paysages dévastés, des amas de ferraille, un amoncellement de matériaux désormais inutilisables, des torrents de boue desséchés. Des bénévoles ont entrepris de sauvegarder les photographies retrouvées dans les décombres. Il s’agit de les nettoyer, de les sécher, de les afficher à la vue des passants accablés d’incompréhension et de chagrin. On leur prête des locaux. Les vieux albums sont tout gondolés. Tous ces destins en lambeaux, ces gens dont on ne connaît pas le nom. De menus miracles se produisent. Parfois, un curieux reconnaît une sœur, un ami. L’émotion éclate alors.
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À l’inverse, un exalté reproche aux nettoyeurs de se mêler de ce qui ne les regarde pas. La caméra s’attarde sur la minutie des gestes, montre ce combat contre l’inutile. Ça n’est rien, juste quelques images intimes, des instants saisis par l’appareil. Il faut identifier ces visages, raccorder ces destins. Cet artisanat répare les mémoires, ressoude des relations, repousse la mort du bout du pied.
Le film est d’une simplicité confondante, d’une tendre évidence. Soudain, le fracas du monde est tenu à l’écart. Quel repos! Le père de Masashi est victime d’un AVC à l’instant où il souffle les bougies de son gâteau d’anniversaire. Il y aura un enterrement. Il restera ces tirages sur papier mat, seule façon de lutter contre l’oubli. Ils ne sont pas sans âme. La Famille Asada n’en manque pas non plus. Grâce à cette chronique, qui a l’air d’être chuchotée, on se dit que la tristesse est un sentiment japonais.
La note du Figaro : 2,5/4