Un conte de fées. Le rêve de tous les auteurs de premier roman. Après une série de prix littéraires (Prix Première plume 2023, prix Femina des lycéens 2023, prix des Cinq continents de la francophonie 2024), une présence sur les sélections du Goncourt et du Renaudot, Éric Chacour vient de décrocher le prix des Libraires, avec son premier roman, Ce que je sais de toi (aux Éditions Philippe Rey). C’est une des récompenses les plus recherchées, avec sa dimension littéraire et son véritable impact sur les ventes.
Il faut dire que ce premier roman fut la révélation de la rentrée littéraire de l’automne dernier. Pourtant Éric Chacour n’est pas du sérail : né à Montréal de parents égyptiens, il Chacour a partagé sa vie entre la France et le Québec. Diplômé en économie appliquée et en relations internationales, il travaille dans le secteur financier. Et visiblement, il possède une très jolie plume. Le Figaro littéraire, début septembre 2023, avait remarqué ce texte de haute tenue, publié par Philippe Rey dont on connaît le flair. C’est un premier roman qui a un air de classique, déjà, dans son écriture, son style, sa narration, et l’histoire même forcent l’admiration. Éric Chacour met en scène Tarek, un jeune médecin égyptien chrétien qui reprend le cabinet de son père décédé. Nous sommes au Caire, dans une famille bourgeoise. De la mère à l’épouse en passant par la petite sœur et la domestique, chacun joue parfaitement son rôle dans une société corsetée. Tout bascule quand Tarek décide d’ouvrir un dispensaire dans un quartier pauvre : il découvre un autre monde, et Ali, un garçon qui se débrouille comme il peut tout en s’occupant de sa mère alitée. Tarek l’initiera non pas à la médecine, mais fera en sorte qu’il devienne son assistant.
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Il y a deux tours de force dans Ce que je sais de toi. Le premier est la période sur laquelle se déroule la fiction, de 1961 à 2001, quarante années d’histoire entre Le Caire, Montréal et Boston, par flash-back, sans que cela ne gêne aucunement la fluidité du récit. Le second tour de force est bien plus rare : c’est ce tutoiement quasi permanent du narrateur : est-ce un homme ou une femme qui s’adresse à Tarek, le personnage principal ? Est-ce une personne qui le connaît si bien, sa femme, sa mère, la domestique ? Le mystère est entretenu tout le long des deux tiers du roman, jusqu’au moment où l’on passe du « tu » au « je » – cela donne un charme inouï au texte, quelque chose qui met à la fois une tension dans le roman et pose nombre d’interrogations. Au fil des pages, l’histoire prend de la profondeur et de l’épaisseur. Et l’écriture est tout simplement magnifique, presque d’un autre temps. On relit des phrases touchées par la grâce, qui claquent comme des aphorismes : « Les hommes sont des nomades à l’arrêt. » Ou : « Chaque homme porte en lui les germes de sa propre destruction. »
Le jury du Prix des libraires est tombé sous le charme de ce texte. Lors de la remise de la récompense, Nathalie Iris, sa présidente, a affirmé: « Nous sommes fiers de couronner ce premier roman d’un auteur francophone très prometteur, nous inscrivant ainsi dans l’esprit qui a toujours animé le Prix des Libraires depuis l’origine : mettre en lumière un talent d’écrivain dont nous sommes persuadés qu’il saura se déployer au fil des textes à venir. Nous saluons également la maison d’édition Philippe Rey, qui brille par la qualité des auteurs qu’il accompagne».
L’éditeur Philippe Rey, après le Goncourt en 2021, était à nouveau tout heureux : « Depuis la création de notre maison d’édition il y a 20 ans, je rêve du Prix des libraires. Il est l’un des plus beaux de notre monde du livre, car il est fait de sincérité et de passion. Une maison indépendante ne pourrait survivre sans les libraires, nos plus fidèles alliés, avec qui nous partageons l’amour du livre et de la littérature. En distinguant le premier roman d’Éric Chacour, ce prix non seulement salue la naissance d’un écrivain, mais aussi nous encourage à continuer de plus belle. J’en remercie très chaleureusement ces fabuleux passeurs de textes que sont les libraires. »
Fondé en 1955, le Prix des Libraires récompense chaque année un roman de langue française. Sur une centaine d’ouvrages issus des deux rentrées littéraires de septembre et de janvier, un premier jury permanent composé de 12 libraires sélectionne 10 romans. Ensuite, plus de 900 libraires indépendants de toute la France participent aux votes pour désigner les 5 finalistes, puis pour le ou la lauréate. L’an prochain, pour ses 70 ans, le prix s’ouvrira à la littérature étrangère