Le royaume des 64 cases pourrait y perdre son latin. Faisant fi des faces scientifique, artistique et ludique du jeu d’échecs la Fide (Fédération internationale des échecs) -créée par le Français Pierre Vincent en 1924 à Paris- vient de prendre la décision d’interdire aux joueuses transgenres, c’est-à-dire des joueuses hommes devenues femmes, de participer aux tournois féminins. Ce règlement, d’une durée de deux ans, est entré en vigueur le 21 août 2023.
Présidée depuis 2018 par le Russe Arkadi Dvorkovitch, la Fide se comportant uniquement comme une instance essentiellement «sportive» s’est alignée dans les faits sur la décision de la Fina (Fédération internationale de natation) qui, le 20 juin 2022, a interdit aux compétitrices transgenres, d’homme à femme donc, de ne plus désormais concourir dans les compétitions réservées aux femmes. Si cette politique peut se comprendre pour des disciplines où la taille et la force physique sont prépondérantes, cette prise de position -temporaire- de la Fide surprend car elle concerne des «athlètes de l’esprit» où seules comptent les aptitudes combinatoires et stratégiques entrent en jeu.
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Il n’est pas inutile de rappeler qu’aux échecs il n’existe aujourd’hui que deux catégories de tournoi , -outre les catégories d’âge qui vont de poussin à vétéran-, mixte et féminine. Si les hommes ont longtemps dominé les grands tournois, depuis les années 1930 avec les exploits de Vera Menchik puis plus récemment ceux de la prodigieuse Hongroise Judit Polgar et de la Chinoise Hou Yifan, on sait que le talent échiquéen n’est pas l’apanage d’un genre.
Aujourd’hui, en s’engouffrant dans ce problème la Fide ne fait pas que suivre servilement la décision de fédérations sportives qui se soumettent à des critères de sélection «athlétique». Elle occulte malheureusement aussi le caractère tout simplement divertissant du roi des jeux qui, il n’est pas inutile de le rappeler, est pratiqué régulièrement, hors compétition, par quelque 500 millions de joueurs et joueuses sur les cinq continents. Ce sont ces aficionados des 64 cases qui ont vu avec beaucoup de plaisir la série Le jeu de la Dame , qui narrait les exploits de la championne Beth Harmon. Une fiction, finalement très réaliste, qui aura fait beaucoup plus pour le développement des échecs qu’une décision de restriction pour le moins discutable.
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La très active Yosha Iglesias, maître d’échecs, compositrice d’études et coach notamment sur YouTube, où ses leçons sont particulièrement appréciées, a réagi sur Twitter en faisant part de ses craintes devant la décision de la Fide qu’elle juge discriminatoire: «Quelqu’un peut-il me dire ce qui est considéré comme un événement officiel de la Fide ? Serai-je autorisée à jouer le Championnat de France dans 3 jours ? La Coupe d’Europe des clubs en septembre ?».
Il n’existe dans l’histoire du jeu, pour l’instant, qu’une seule bretteuse de haut niveau transgenre ayant remporté une compétition de niveau national réservée aux femmes. Elle se nomme Annemarie Sylvia Meier et devenue championne d’Allemagne féminine en 2003 à l’âge de 46 ans. Une performance qui, pour l’instant, reste unique. Cette nouvelle politique ne concerne pas les hommes transgenres qui concourent dans les catégories masculines. Le communiqué de la Fide précise toutefois que les hommes transgenres seront déchus de tous les titres qu’ils auraient obtenus dans la catégorie féminine avant leur transition. Et qu’ils pourraient les récupérer uniquement s’ils prouvent qu’ils sont redevenus une femme et qu’ils possèdent toujours la licence qui détient le titre originel. De nombreuses questions restent en suspens, qu’Ana Valens pose dans son article : «Quel est l’intérêt de cette mesure ? Les femmes transgenres seraient-elles naturellement meilleures aux échecs ? Serions-nous trop intelligentes pour jouer avec des femmes cis ?»