Dans la mémoire de Jean-Noël Fenwick, le 29 avril 1990 est sans doute demeuré le plus beau soir de sa vie. Au cours de la quatrième Nuit des Molières, il est sacré «meilleur auteur» pour Les palmes de monsieur Schutz. Sa pièce est également récompensée par quatre autres trophées, parmi lesquels celui du metteur en scène, attribué à Gérard Caillaud. Ce dernier est le premier, et sans doute le seul à l’époque, à avoir cru en cette histoire dont le manuscrit est arrivé un matin sur son bureau. Après l’avoir lue, il décide aussitôt de la monter à la rentrée 1989 au théâtre des Mathurins, dont il est le directeur.
L’aventure débute le 18 septembre dans une indifférence quasi générale. La première, devant le Tout-Paris, est saluée par quelques applaudissements polis. En revanche, le rare public présent les autres soirs dans la salle ne dissimule pas son enthousiasme. Stéphane Hillel et Sonia Vollereaux, qui interprètent Pierre et Marie Curie, sont régulièrement ovationnés. La logique de production voudrait que le rideau tombe au lendemain de la 30e représentation. Gérard Caillaud écarte cette hypothèse. Il croit en ce sujet particulièrement original et décide de jouer la carte du «quoi qu’il en coûte», en continuant le plus longtemps possible Vers la 70e représentation, le téléphone commence à sonner à la caisse. Un mois après, grâce au bouche-à-oreille le théâtre affiche complet. À partir de ce jour, pour trouver une place, il va falloir s’y prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois à l’avance.
Six saisons plus tard, après plus de 1500 représentations, la troupe quitte Paris pour une longue tournée en France qui va s’achever au Québec. Le phénomène s’étend encore avec des adaptations dans 21 pays parmi lesquels la Chine et le Japon. Enfin, en 1997, Claude Pinoteau réalise une adaptation cinématographique dont Isabelle Huppert est la tête d’affiche.
Jean-Noël Fenwick n’imaginait pas un seul instant ce rêve éveillé quand, après la lecture d’un article dans une revue spécialisée, il a eu l’idée de s’inspirer de la découverte de la radioactivité puis du radium pour écrire, en quelques semaines à peine, une pièce qu’il veut «gaie, tendre et scientifique». Ce n’est pas sa première expérience dans l’univers du rideau rouge. Après avoir travaillé dans l’univers du journalisme puis de la publicité, il a décidé de vivre sa passion. Il a ainsi troussé des pièces exclusivement jouées dans des cafés-théâtres et fait quelques apparitions sur scène, en particulier dans Le bonbon magique avec Charlotte de Turckheim, avec qui il a été marié pendant une vingtaine de mois.
Dans les années qui suivront ce triomphe, il va signer, entre autres, Calamity Jane, Potins d’enfer, dont il assure la mise en scène, et Moi, mais en mieux. Le succès, beaucoup plus modeste, entraîne le créateur à se lancer dans d’autres aventures. S’inspirant de l’univers qui a fait sa bonne fortune, il publie Les sept coups de génie de madame Bibabanga, un essai de vulgarisation évoquant, en 200 pages, les phénomènes scientifiques qui, depuis le big bang, ont entraîné l’apparition de l’homme sur la terre. Enfin, voici une dizaine d’années, il a signé L’Arlequin, un roman où, à travers le parcours d’un artiste qu’un rôle de bouffon rend célèbre, il avait dressé un portrait au vitriol des coulisses d’un petit monde du spectacle, dont il n’était pas dupe. Ceux qui, au temps de la gloire, lui tapaient amicalement sur le ventre, n’avaient pas hésité ensuite, à cogner encore plus fort, mais dans son dos.
Au cours de la dernière cérémonie des Molières, Rudy Milstein, lauréat dans les catégories meilleure comédie et meilleur auteur francophone a rendu hommage à cet homme qui répétait souvent ces dernières années qu’il avait un problème. Celui d’avoir quinze ans dans un corps d’un homme de soixante-dix.
Payer moralement son succès au prix fort ne l’avait pas découragé pour autant. Il a continué jusqu’au bout à imaginer des situations, à écrire . Il avait assuré, voici quelque temps, la lecture d’une nouvelle pièce dans laquelle il plaçait bien des espoirs. Le destin ne lui a permis de passer aux actes.