À 79 ans, George Miller n’est pas rangé des voitures. Le réalisateur australien revient sur la Croisette avec Furiosa : une saga Mad Max . Le cinquième volet d’un mythe cinématographique souvent imité mais jamais égalé. On saura mercredi 15 mai, jour de sa première mondiale avant sa sortie en salles le 22 mai, si le créateur de Max le fou a toujours de l’essence dans le moteur ou s’il est bon pour la casse. Miller y raconte la jeunesse de son héroïne manchot (Anya Taylor-Joy), quand elle avait encore ses deux bras et déjà la vengeance dans la peau. Tout sauf une promenade de santé à la vue des premières images. En attendant, retour sur une saga de sang et de métal hurlant.
À la fin des années 1970, George Miller, originaire d’une petite bourgade du Queensland, est urgentiste. Il soigne des victimes d’accident de la route, véritable sport national dans un pays comme l’Australie, qui a le culte de l’automobile. Miller est aussi un fou de cinéma. Il crame ses économies pour réaliser Mad Max, un rodéo sauvage tourné sur les autoroutes de la périphérie de Melbourne. Un premier opus brutal, nihiliste, et la révélation d’une arme fatale : Mel Gibson. En Max Rockatansky, flic et veuf épris de vengeance, il crève l’écran. Un mythe est né. «Les Français ont toujours été des grands défenseurs de Mad Max. Au Festival du Film fantastique d’Avoriaz, les critiques enthousiastes avaient qualifié mon film de western sur roue», confie au Figaro George Miller en mai 2015. Les Français ne sont pas les seuls à prendre une claque. Hollywood et le monde entier regardent ces chiens fous avec un mélange d’admiration et de répulsion.
Miller n’est plus le petit nouveau. Trois ans après Mad Max, il est attendu au tournant. Avec Mad Max : Le Défi, il signe peut-être son chef-d’œuvre. Et la matrice de tout un cinéma de science-fiction du tournant du XXIe siècle. Film, jeu vidéo, bande dessinée, tout l’imaginaire post-apocalyptique des trente dernières années commence ou finit sur une route de l’Outback. L’humanité s’entretue pour un jerrican d’essence. Le monde est à l’agonie. Des hordes de guerriers motorisés en cuir luttent dans un désert à perte de vue. Le pessimisme de Miller ne s’arrange pas. Sa mise en scène gagne en envergure. Sa maîtrise du temps et de l’espace impressionne. Avec en point d’orgue une course-poursuite spectaculaire, avec Max au volant d’un camion-citerne et des punks énervés à ses trousses. Parmi les fans, James Cameron. « Quand j’ai vu Mad Max 2 : Le Défi, je me suis dit :que Miller avait lu dans mon esprit, confie le réalisateur d’Avatar au Figaro en avril dernier. J’ai dit à mon voisin dans la salle, que je ne connaissais pas : « C’est génial ! » J’étais mordu de bagnoles, je faisais même des courses de rue. J’ai crashé beaucoup de voitures ! On retrouve cette adrénaline dans Terminator. » Avec Peter Weir, Bruce Beresford et Philip Noyce, Miller incarne désormais l’âge d’or du cinéma australien.
L’épisode mal aimé de la saga. La civilisation est toujours en voie d’extinction après une guerre nucléaire mais, cette fois, Mel Gibson a les cheveux longs. Tina Turner interprète Entité, figure charismatique de la ville de Bartertown, alimentée par du méthane. Une partie de l’intrigue se déroule dans des sous-terrains (le Monde d’en dessous), où Miller semble à l’étroit. Les duels à mort sous le « Dôme du tonnerre » n’ont pas l’adrénaline des courses-poursuites des origines. Un méchant en forme de colosse attardé mental surmonté d’un nain très intelligent, une troupe d’enfants perdus… Les personnages sont plus ridicules qu’effrayants. À l’arrivée, ce troisième volet, est plus kitsch que rock.
Trente ans après sa dernière apparition à l’écran, Mad Max est de retour. Sans Mel Gibson. Mad Max Fury Road déboule sur la Croisette en ouverture du festival – il glanera six Oscars en bout de course. Miller, 70 ans au compteur, remet un coup d’accélérateur et sème ses poursuivants. Pour Truffaut, les films sont des trains qui avancent dans la nuit. Pour Miller, ce sont des camions-citernes qui foncent dans le jour. La course-poursuite reste sa figure de style préférée. Du mouvement, de l’action, de la vitesse. Il y a bien ici un vague enjeu autre que celui de sauver sa peau (libérer la Citadelle où les derniers humains crèvent de soif). Cette fois, tout le monde court après l’eau, et non plus le pétrole. Surtout, Miller a braqué la banque (150 millions de dollars de budget) pour s’offrir des jouets encore plus démentiels. Des véhicules customisés sortis de l’esprit malade d’un mécano sadique. Ils sont vendus avec une panoplie d’accessoires (perches, lance-flammes, arbalètes, guitare électrique, harpons, charrues, etc.). Pas de trucages numériques mais des combats dantesques, sans jamais serrer le frein à main. Le «globulard » Max passe une bonne partie du voyage avec une muselière en acier. Sans doute une mauvaise blague de Miller, qui signifie à Tom Hardy que Max n’a qu’un visage, celui de Mel Gibson. Il grogne comme un porc. Il joue surtout les faire-valoir. Charlize Theron est au volant. Même chez les adeptes du No Future, la femme est l’avenir de l’homme. Amazone au crâne rasé, amputée d’un bras, sa Furiosa prouve qu’avec une seule main on peut ne pas être manchot. Miller, lui, ne lève pas le pied dans les déserts de Namibie. « Le premier Mad Max était un petit groupe de rockers dans un garage, celui-ci est un opéra rock grandiloquent », explique Miller. Avec Furiosa, cette année, il ne faut pas s’attendre à de la musique de chambre.