La poète américaine Louise Glück est décédée ce vendredi 13 octobre, à son domicile de Cambridge, dans le Massachusetts. Elle avait 80 ans. Peu connue du grand public, célébrée dans les milieux universitaires, elle avait été couronnée par le prix Nobel de littérature en 2020.
Dans leur communiqué, les membres de l’Académie royale de Suède avaient ainsi commenté leur choix: «Ses œuvres se caractérisent par un souci de clarté. L’enfance et la vie de famille, la relation étroite avec les parents et les frères et sœurs, sont une thématique qui est restée centrale chez elle.» Un choix d’autant plus surprenant qu’il écartait d’autres poètes américains reconnus, d’autres grandes voix telles que celles de Bernadette Mayer, de Grace Schulman, de Charles Simic (qui nous a quittés en janvier dernier) ou encore de Ron Padgett (célébré dans le film Paterson de Jim Jarmusch). Née en 1943 à New York, élevée à Long Island, cette fille issue d’une famille juive d’origine hongroise et russe, Louise Glück (prononcer « Glick ») avait publié une quinzaine de recueils et quelques volumes d’essais.
En 1993, elle avait décroché le prix Pulitzer de poésie pour son recueil Wild Iris, paru l’année précédente, et le National Book Award en 2014, pour Faithful and Virtuous Night (Nuit de foi et de vertu), qui s’ouvre sur ces vers: «D’abord nous dépouillant des biens de ce monde, comme saint François l’enseigne / afin que nos âmes ne soient pas distraites / par le gain et la perte.» S’il est bien difficile de définir sa poésie, ses tonalités et ses couleurs, Louise Glück reconnaissait être «attirée par l’ellipse, le non-dit, le suggestif, l’éloquent, le silence volontaire». Elle se sentait proche de poètes tels que Rilke, Wallace Stevens, Yeats, ou encore T. S. Eliot. Depuis son prix Nobel, son œuvre a largement été traduite, notamment en France, chez Gallimard, avec quatre recueils disponibles désormais en français.
Auteur d’un premier livre en 1968, Firstbone, influencé par Sylvia Plath et Robert Lowell, c’est finalement avec son sixième recueil, paru en 1992, que Glück atteint la maturité et la consécration, après avoir abandonné une certaine austérité hermétique: The Wild Iris, publié deux ans après Ararat. Un recueil considéré aujourd’hui comme un classique de la poésie de la fin du XXe siècle, au même titre que The World Doesn’t End de Charles Simic. L’Iris sauvage peut se lire comme la métaphore du jardin vu comme un paradis perdu, sorte de livre d’heures, de recueil intimiste, où l’on retrouve le langage des fleurs, le rythme des saisons, l’ordre des prières. On y recroise la figure du père inaccessible déjà évoqué dans Ararat, l’univers de la famille.
Autant de poèmes qui se répondent, souvent dans la douleur ou l’adversité, établissant un étrange jeu polyphonique au contrepoint sombre et précis. Citons-en quelques vers: «Au bout de ma douleur/ il y avait une porte. Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,/ Je m’en souviens./ En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin./ Puis plus rien. Le soleil pâle/ vacilla sur la surface sèche.» Ou encore: «Les objets vivants ne requièrent /pas tous la même quantité de lumière. / Certains d’entre nous /fabriquons notre propre lumière: une feuille d’argent /semblable à un chemin interdit, un lac /peu profond aux reflets d’argent dans les ténèbres sous les vieux érables.»
Exprimés dans un lyrisme retenu, la famille, le passage du temps, la blessure, les personnages la Bible ou de la mythologie gréco-latine (Le Triomphe d’Achille en 1985, Averno en 2006), l’éden inaccessible ou défendu, le souvenir d’un drame, comptent parmi les grands thèmes développés par Louise Glück. En 1980, dans le recueil Descending Figure, réapparaissait l’ombre de sa sœur cadette, morte prématurément: «Loin, ma sœur remue dans son petit lit./ Les morts sont comme ça,/ toujours les derniers à se calmer.» Tragédie qu’elle reprendra dans Ararat.
Dans son dernier recueil publié, Winter Recipes from the Collective (2021), Louise Glück a développé plusieurs formes narratives, jouant tout au long des quinze poèmes du livre, sur le prisme de la mémoire intime et du rêve. On y retrouve des bonsaïs, un passeport abandonné, la lumière joyeuse du soleil, de petites princesses jouant à l’arrière d’une voiture… Il sera publié par Gallimard le 9 novembre prochain, sous le titre Recueil collectif de recettes d’hiver. À la même date, seront réunis trois de ses recueils dans un nouveau volume de la collection «Poésie/Gallimard» : L’Iris sauvage, Averno et Meadowlands (1996), traduits par la fidèle Marie Olivier, et dans une édition bilingue.