Revenir, c’est décevoir. Pas pour tout le monde. Après cinq ans d’absence comme chanteur – où ses au revoir à la Seine musicale avaient été réussis, bien qu’un peu conventionnels -, Michel Sardou a commencé à Rouen sa nouvelle tournée. «Je me souviens d’un adieu». Un début tonitruant. La voix, le choix des chansons, l’orchestration et la mise en scène… Tout a été exécuté (presque) à la perfection. De quoi rendre heureux les 5000 spectateurs présents au Zénith.
Revenir, c’est rassurer. Michel Sardou, 76 ans, allait-il être capable de tenir son public et sa voix pendant plus de 1h30 ? Après l’inaugural Connemara, objet d’une belle polémique estivale lancée par Juliette Armanet, les rares Marie-Jeanne et Casino ont été laborieuses comme si Sardou doutait de ses capacités. Ou plutôt se chauffait la voix. Le triptyque Une fille aux yeux clairs, Le privilège et Je vais t’aimer («une chanson qui ne va pas déstructurer Sandrine Rousseau», lance-t-il) a fini de convaincre que «The Voice» (surnom donné par Elton John, selon la légende) était bien le chanteur que l’on avait quitté en 2018. Voire un peu meilleur. La version jazzy d’Aujourd’hui peut-être, façon Louis Armstrong, est une pépite que l’on veut réécouter.
Revenir, c’est faire plaisir. Avec un choix de chansons extrêmement ambitieux (Parlons de toi, de moi, L’autre femme, Le Bac G, Je vole), il fallait tout de même contenter les fans qui veulent les classiques. Un medley géant composé de 11 tubes, réorchestrés et enchaînés de façon surprenante (un «mashup»), lançait une sorte de karaoké populaire : Salut, Chanteur de jazz, Je veux l’épouser pour un soir, la Java de Broadway, Afrique Adieu, Dix ans plus tôt, Je viens du sud, J’accuse, La vieille, Les vieux mariés et Le France. Cent millions de disques (vendus) vous contemplent. Le tout sans fausse note et sans blabla excessif : Sardou, tout de noir vêtu, a peu parlé et beaucoup chanté. Et rendu un tendre hommage à son «ami» Johnny, qu’une mauvaise blague sur sa fille avait fâché, en interprétant Quelque chose de Tennessee.
Revenir, c’est provoquer. Malgré son âge, Michel Sardou ne peut s’empêcher de lancer quelques piques. Il fait fredonner à ses choristes quelques vers du Temps des colonies, interprète Vladimir Illitch le poing levé comme à la grande époque et ose reprendre son rôle de «passant» qui a «envie de violer des femmes» dans Les villes de solitude. En 2023, il fallait oser. Mais Sardou ose tout et c’est à ça qu’on le reconnaît.
Revenir, c’est innover. Un grand voile blanc recouvre à trois reprises la scène. Accompagnées du jeu de lumière de Jacques Rouveyrollis, des images sont projetées. Un film 3D avec un violoniste rock celtique (Emma Sempere), un sonneur de cornemuse (Anthony Masselin) et un cheval (l’animal préféré de celui qui se définit comme un ours) pour Les lacs du Connemara. Une statue immense de Lénine qui s’effrite au fur et à mesure de la chanson pour Vladimir Illitch. Un tableau romantico-guerrier sur la trop méconnue Verdun, pour ne pas oublier les morts pour la patrie. La patrie française et américaine avec les fameux Ricains, qui avaient offert en 1967 la première polémique au chanteur.
Revenir, c’est repartir. Après 1h15 d’un spectacle minutieusement orchestré et des fans totalement acquis à la star, il faut attaquer le final. La difficile Être une femme est interprétée sans trop de heurts (on rassure les habitués, il a fini par s’embrouiller dans les paroles), l’envoûtante Musulmanes emporte la foule et Comme d’habitude (enfin débarrassée de sa mère Jacky, qui y jouait son rôle dans un sketch éculé depuis 40 ans ) terminait le concert. Avant que les dernières notes du Connemara permettent, comme à son habitude, à Sardou de filer en douce.
«Je me souviens d’un adieu» est bien lancé. La tournée l’emmènera dans une bonne partie de la France. Michel Sardou posera ses valises et sa voix les 16 et 17 mars à Nanterre. Il sera le premier chanteur à se produire en scène centrale à Paris La Défense Aréna. Ce sera les ultimes dates de son retour. Mais partir, c’est toujours revenir.