Ce long-métrage produit par Netflix devait surmonter la barrière du sous-titrage auprès du public international, et embrasse un fatalisme aux antipodes de l’héroïsme glorieux des films de guerre américains. Son réalisateur Edward Berger ne cache donc pas son étonnement de voir À l’Ouest rien de nouveau en lice pour neuf Oscars dont le plus prestigieux, celui du meilleur film. Une première pour un long-métrage en langue allemande.

«Avons-nous été surpris? Bien sûr», confie-t-il. «On ne peut pas compter sur ce genre de choses.» D’autant que Netflix disposait cette année d’une armada fournie pour concourir aux Oscars, dont par exemple la fresque historique latino-américaine Bardo ou l’inspiré film de détective Glass Onion: une histoire à couteaux tirés.

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Mais c’est finalement À l’Ouest, rien de nouveau, troisième adaptation à l’écran du roman éponyme de l’Allemand Erich Maria Remarque, qui a émergé des tranchées pour s’imposer comme favori. Le film détaille la cruelle désillusion de jeunes soldats exaltés par le nationalisme allemand, confrontés sur le front français aux atrocités de la «grande boucherie» de 14-18. «Nous voulions faire un film très allemand, mais nous ne le faisons pas pour le pays», explique Edward Berger. «Je ne suis pas un patriote.»

Tourner dans la langue maternelle du livre était une évidence, pour le réalisateur. Cela permet d’avoir «une certaine authenticité» et de donner un aperçu plus profond de la «honte, la responsabilité et la culpabilité» ressentie par de nombreux Allemands après les deux conflits mondiaux du XXe siècle.

Si Netflix avait exigé de travailler en anglais, ce Suisse né en Allemagne aurait «immédiatement dit non». Mais la question se pose de moins en moins, notamment depuis que le géant du streaming a réalisé des cartons internationaux avec les séries sud-coréenne Squid Game ou espagnole La Casa de Papel .

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Avec sa perspective typiquement allemande, le film magnifie le message pacifiste du roman. Dans une guerre de positions particulièrement âpre, qui a fait des millions de morts, il n’y a pas de lyrisme: chacun est broyé par la grande hache de l’Histoire. «En tant qu’Allemands, nous nous attendons (…) à ce qu’il n’y ait pas de héros. Vous ne pouvez pas avoir des gens qui réussissent leur mission. Il est presque impossible qu’un soldat survive», résume Edward Berger.

Le réalisateur a été surpris par la réaction du public anglo-saxon à la fin de son film, où l’un des personnages clés est brutalement transpercé par une baïonnette.

Le moment est loin d’être inattendu, compte tenu de la renommée du roman et du bilan meurtrier de la Grande Guerre. Mais lors de la première internationale du film à Toronto l’an dernier, «il y a eu un grand sursaut dans le public», raconte le réalisateur. «En Amérique, on est habitué à la figure du héros. On souhaite qu’il s’en sorte positivement, et on s’accroche à l’espoir que le héros va changer le monde.»

Paradoxalement, le triomphe international du film contraste avec l’accueil plutôt réservé de la critique en Allemagne. Plusieurs chroniqueurs de journaux influents ont notamment reproché à M. Berger de s’écarter du roman. Vendu à 50 millions d’exemplaires, interdit par les nazis, qui l’ont brûlé dans les autodafés organisés en 1933, le livre est devenu une œuvre sacrée outre-Rhin.

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Le film introduit de nouvelles scènes, en dépeignant notamment les pourparlers tendus entre la délégation allemande et les généraux français inflexibles avant l’armistice. Il omet également une partie dans laquelle l’un de ses héros traumatisé par la guerre retourne chez lui lors d’une permission, et se rend compte qu’il ne trouve plus sa place dans la société.

«Je me suis senti autorisé à faire ces changements», car «pourquoi faire la même chose», rétorque Edward Berger en revendiquant son droit d’«observer, de critiquer». Le réalisateur attend désormais le 12 mars pour savoir si sa version aura le droit aux mêmes honneurs que l’adaptation américaine la plus renommée. En 1930, le film de Lewis Milestone avait obtenu l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.