Samedi, une animation inhabituelle parcourait la commune de Vicq, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Chaumont. En plein week-end des Journées européennes du patrimoine, les 162 habitants de cette campagne de Haute-Marne accueillaient près de 300 personnes. Ce n’est pourtant pas la vieille église du village qui a attiré cette foule, ni même une appétence bucolique pour ce petit pan de territoire champenois, mais la passion de la détection.

Samedi matin, une trentaine de bénévoles ont inauguré le «rallye de détection» de Vicq, une compétition dans laquelle les participants ratissent, avec leur détecteur de métaux, un terrain privé à la recherche de 1000 jetons dissimulés sous terre. Organisée par la section Vikings Détect.52 de l’association locale Détente, Loisirs et Sports (DLS), la manifestation connaît en cette troisième édition une affluence record. «Ça marche fort !, se félicite Chantal Dezan, présidente de DLS. Les passionnés sont arrivés de toute la France et des pays voisins. On a des Belges, des Suisses et des Luxembourgeois !» L’événement, cependant, a fait sortir de leurs gonds les archéologues.

«Non, la détection n’est pas un loisir», martèle un collectif d’archéologues champenois dans une pétition mise en ligne le 15 septembre pour réclamer l’interdiction de ce rassemblement «promouvant une activité illégale et destructrice». «Organiser cet événement en plein week-end des Journées du patrimoine n’est pas innocent, c’est une provocation, soutiennent Marion Bernard et Fabien Langry-François, deux archéologues à l’origine de la pétition. Ce genre de manifestation, qui flirte avec l’illégalité, prépare en réalité les participants à la fouille d’objets archéologiques avec leur détecteur de métaux, une pratique interdite , sauf autorisation administrative préalable, par l’article L. 542-1 du Code du patrimoine».

«J’ai saisi le procureur de la République et la gendarmerie, précise Thierry Bonin, conservateur régional adjoint de l’archéologie à la Drac Grand-Est. Sous couvert de détection de loisir, les détectoristes vont remuer des pans de terre où pourraient se trouver des vestiges, et ce, alors que la commune recense déjà cinq sites archéologiques, datés de la Préhistoire au Moyen-Âge . Que cela soit organisé sur un terrain privé ne change rien. Le fait que le lieu précis du rallye ne soit pas publiquement indiqué ajoute enfin une couche d’opacité à cette manifestation».

Ces accusations sont rejetées par les organisateurs du rallye de Vicq, dont l’ouverture s’est déroulée sans accroc. «La Drac a essayé jeudi de faire annuler notre rendez-vous en laissant entendre que nous n’avions pas d’autorisation préfectorale et que nous étions des pilleurs. Mais nous ne faisons rien d’illégal puisque nous enfouissons des jetons», assure Chantal Dezan, forte du soutien du maire de la commune, Jacky Horiot. «Les gendarmes sont venus voir ce qu’on faisait et, pour eux, tout était conforme», ajoute-t-elle samedi soir. Scandalisée par la réaction de la Drac, la présidente de l’association insiste sur le caractère «convivial et familial» de la journée : «l’arrivée de 300 personnes profite par ailleurs aux gîtes des environs, en cette fin de saison estivale».

Impuissant face aux précautions prises par l’association, Thierry Bonin n’entend pas baisser les bras et rappelle qu’un levier d’action important face à ce type de rassemblement se trouve entre les mains des collectivités. «C’est le patrimoine des communes ; elles pourraient mieux s’en saisir et agir directement en faveur de leur protection». Sollicitée la veille de l’événement, la communauté de communes des Savoir-Faire, à laquelle appartient Vicq, a assuré ne pas être associée à l’organisation du rallye.

La communauté archéologique se méfie depuis de longues années de l’activité des détectoristes. La défiance s’est accrue depuis la pandémie de Covid-19 et ses confinements successifs. La pratique compterait aujourd’hui plus de 250.000 fidèles selon la Fédération française de détection de métaux. Cet organisme national de référence, auquel est rattaché Vikings Détect.52, défend sur son site web une «détection de loisir» destinée à «dépolluer les sols»et «rechercher des objets disparus». Sans oublier de vanter la «source de connaissance inépuisable» que constitue cette activité «pour ceux et celles qui ont un fort intérêt pour l’Histoire et la sauvegarde du Patrimoine».

S’estimant stigmatisée en France, les détectoristes observent avec envie le «système collaboratif vertueux» mis en place par la législation au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves. L’actualité archéologique de ces pays se pimente ainsi régulièrement d’annonces de découvertes prodigieuses dues à des chercheurs amateurs métamorphosés en chasseurs de trésors. Une des dernières en date – la trouvaille près de Stavanger, en Norvège, d’un trésor de bijoux et de médaillons d’or datés de l’âge du Fer – a ni plus ni moins été qualifiée de «trouvaille du siècle» par des conservateurs norvégiens.

Pourtant, une série de conférences et d’expositions présentée ces dernières années de Paris à Marseille est venue rappeler les conséquences désastreuses de l’activité des détectoristes pour la recherche scientifique. Car tirer des objets de la terre est un métier. Et déterrer les inéluctables vestiges sur lesquels finissent par tomber ces vadrouilleurs revient à détruire des données entourant les biens en question.

«Il est crucial d’étudier les objets dans leur contexte, car cela peut par exemple permettre de dater toute une couche de fouille. Sans quoi, la recherche perd définitivement des informations», rappelait en juillet au Figaro l’archéologue Vincent Michel. «Brandir à tout-va le concept de “détection de loisir” n’a pour seule ambition que de contourner la loi», tranche également le conservateur général du patrimoine Xavier Delestre dans son livre Pillages archéologiques, les orphelins de l’histoire (2021, Drac Provence-Alpes-Côte d’Azur).

Le dialogue de sourds se poursuit ainsi au fil des campagnes de prévention concoctées par les différents acteurs de l’archéologie française et des rassemblements festifs de détectoristes en herbe. L’acrimonie des uns et des autres se déporte sur les réseaux sociaux où, à l’instar des spécialistes du climat harcelés par les climatosceptiques, les archéologues doivent ferrailler désormais au quotidien avec des partisans de la détection. «Sur Facebook, des détectoristes nous rétorquent que l’on ne connaît pas la loi, qu’elle n’est pas claire ou alors que le Code du patrimoine ne s’applique qu’aux professionnels, s’offusque Fabien Langry-François. Il reste encore un vaste travail de pédagogie à accomplir.»