L’Académie suédoise n’aime rien moins que l’effet de surprise. Pas de liste officielle. Pas de favoris. Chaque année donc, il faut s’en remettre aux rumeurs qui fusent sur les sites de paris en ligne. Celle-ci ne fait pas exception. Jusqu’au dernier moment, les bookmakers ont pu annoncer comme grands favoris, le Norvégien Jon Fosse, la Chinoise Can Xue et le Kényan Ngugi Wa Thiong’o. Et il faut dire qu’ils ont vu juste.
À 13 heures, ce jeudi 5 octobre, l’Académie suédoise a révélé, depuis les salons de la Svenska Akademien, le nom de son lauréat pour le prix Nobel de littérature : Jon Fosse. Elle a distingué l’écrivain, poète et dramaturge, âgé de 64 ans, «pour ses pièces de théâtre et sa prose novatrices qui ont donné une voix à l’indicible».
«Je suis abasourdi et d’une certaine manière effrayé. Pour moi, c’est d’abord une récompense qui va à la littérature qui, avant toute chose, a pour objectif d’être de la littérature, sans autre considération», a déclaré Fosse.
En tant qu’auteur, Jon Fosse est peu connu du grand public français. Il l’est davantage pour son œuvre théâtrale, qui elle, est traduite. «Il écrit des romans très épurés dans un style désormais connu sous le nom de « minimalisme de Fosse », explique l’Académie Suédoise. «Cela peut être vu dans son deuxième roman Stengd gitar, (1985).» Et d’ajouter: « Fosse présente des situations quotidiennes immédiatement reconnaissables dans nos propres vies.»
Jon Fosse est un enfant des fjords né il y a 64 ans sur la côte ouest de la Norvège. Une région battue par les éléments naturels et dont il a gardé l’idiome, le «nouveau norvégien» (nynorsk). Il grandit dans un milieu d’inspiration piétiste avec un grand-père Quaker, pacifiste et gauchiste à la fois. Un piétisme dont le jeune Fosse s’éloigne, préférant se dire athéiste et jouer de la guitare dans un groupe, Rocking Chair, avant finalement d’embrasser la foi catholique sur le tard, en 2013.
Après des études littéraires, il fait ses débuts en 1983 avec Rouge, Noir, un roman où un jeune homme règle ses comptes avec le piétisme. Le style, marqué par de nombreuses projections dans le temps et une alternance des points de vue, deviendra sa marque de fabrique. Suivent, entre autres, La Remise à bateaux (1989), qui lui gagne l’estime de la critique, et Melancholia I et II (1995-96), une autre oeuvre majeure.
Son dernier coup de maître, Septologien -sept chapitres répartis en trois volumes- exploite la rencontre d’un homme avec une autre version de lui-même pour soulever des questions existentielles avec, comme toujours, une ponctuation parcimonieuse et imprévisible.
Fosse vient au théâtre presque par nécessité: sans revenus réguliers, il accepte au début des années 1990 d’écrire le début d’une pièce, y prend goût et décide d’aller jusqu’au bout. Finalement, c’est ce genre qui lui assurera sa notoriété internationale. Après Et jamais nous ne serons séparés en 1994, s’enchaîneront Un jour en été, Rêve d’automne ou encore Je suis le vent. Rompant une pause d’une décennie, il se surprend lui-même en renouant avec le genre en 2021, avec la pièce Sterk Vind (non traduite).
Ses personnages sont peu volubiles. Leurs phrases se répètent, à quelques changements infimes près, et restent en suspens. Ce sont les silences qui sont souvent lourds de sens et qui font que, même ensemble, les êtres restent seuls. Dans ses pièces, «les éléments sociologiques sont présents: chômage, solitude, éclatement des familles, mais l’essentiel est ce qui est entre. Dans les interstices, les failles entre les personnages, entre les différents éléments du texte. Ça passe plus par les silences, par ce qui n’est pas dit que par ce qui est dit», disait-il. Des failles, sa vie personnelle en est parsemée. Marié trois fois, ce père de six enfants a dû renoncer à la boisson après des ennuis de santé.
Bien qu’extrêmement difficiles à monter, ses pièces trouvent d’influents relais à l’étranger. En 2007, le Daily Telegraph le place au 83e rang dans un classement des 100 génies vivants. D’après son éditeur, et ainsi que le relève Reuters, l’œuvre de Fosse a été traduite dans plus de quarante langues, et il a connu plus de mille adaptations à la scène de ses pièces.
Jon Fosse est le 98e homme sur les 115 prix Nobel de littérature qui ont été remis depuis 1901. Sur les dix derniers prix, six étaient Européens. Avant le couronnement de Jon Fosse, seuls trois auteurs norvégiens (Bjørnstjerne Martinus Bjørnson, en 1903, Knut Hamsun en 1920 et Sigrid Undset en 1928) avaient reçu la récompense. Avec ce prix Nobel de littérature, Jon Fosse est l’heureux lauréat d’une coquette somme : 11 millions de couronnes suédoises, soit environ un million d’euros.