Cet article est extrait du Figaro Hors-Série Céline, une saison en enfer, un numéro spécial édité pour le 130e anniversaire de la naissance de l’écrivain du Voyage au bout de la nuit, le 27 mai 1894. Afin d’être tenu au courant de l’actualité historique et culturelle, abonnez-vous gratuitement à la Lettre du Figaro Histoire.

Le 27 octobre 1914, en Flandre-Occidentale, le 12e régiment de cuirassiers assure la couverture du flanc gauche du 66e régiment d’infanterie, en liaison avec le 125e. Voilà deux ans que Louis, désireux de se libérer de ses obligations militaires, s’est engagé au 12e cuirassiers, à Rambouillet. Il y était au moment de la déclaration de guerre. Les deux régiments ont reçu mission d’attaquer Poelkapelle, l’un par l’ouest, l’autre par l’est. On demande un volontaire pour transmettre un ordre. Le maréchal des logis Louis Destouches se présente. Au retour de sa mission solitaire, une balle allemande l’atteint au bras droit. Le capitaine Schneider, commandant le 2e escadron, écrit à Fernand Destouches : « Votre fils vient d’être blessé, il est tombé en brave allant au-devant des balles avec un entrain et un courage dont il ne s’est pas départi depuis le début de la campagne. » Soigné à l’ambulance d’Ypres, puis à l’hôpital auxiliaire d’Hazebrouck et au Val-de-Grâce à Paris, le maréchal des logis Destouches est décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre puis réformé à 75 %. Sa mission héroïque lui vaudra une page de L’Illustré national.

Quarante-huit heures après ce fait d’armes, le 29 octobre 1914, le 16e régiment bavarois est engagé, au même endroit, mais dans l’autre camp. Pour Adolf Hitler, qui en fait partie, c’est le baptême du feu. Plus tard, dans Mein Kampf, il écrira que pour lui commençait « le temps le plus inoubliable et le plus sublime de son existence terrestre ». Les combats auxquels il a participé allaient, eux aussi, marquer Louis Destouches pour le restant de ses jours. Mais d’une tout autre façon. À son amie Simone Saintu, il écrit, le 11 décembre 1916 : « J’éprouve un profond dégoût pour tout ce qui est belliqueux. Je me demande à quel point une victoire achetée au prix de la consomption d’un pays est une victoire. Je n’ai plus d’enthousiasme que pour la paix. »

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Céline sera prêt à tout pour éviter un nouveau massacre et, comme beaucoup, dès le début des années 1930, il sentira venir l’orage. Voyage au bout de la nuit sera un cri contre la guerre, contre toutes les guerres. Comme il le fera pour son enfance dans Mort à crédit, Céline forcera le trait, sans se départir jamais d’un humour ravageur : « le cavalier n’avait plus sa tête, rien qu’une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite ». Mais il y aura dans Voyage des accents profondément humains tant l’épreuve de la guerre lui a permis de découvrir le fond de la nature humaine : « je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu’ils disent, à ce qu’ils pensent. C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours ». L’héroïsme, la gloire, la défense de la patrie lui apparaissent comme autant de mauvais prétextes pour envoyer les hommes à la boucherie : « Une balle dans le ventre, ça ne fait pas un héros, ça fait une péritonite. » Il hait les fauteurs de guerre qui ont envoyé tant de jeunes hommes à la mort : « j’aurais bien voulu le voir ici moi, le Déroulède dont on m’avait tant parlé, m’expliquer comment qu’il faisait, lui, quand il prenait une balle en plein bidon ». Il a aussi la certitude que, dans le camp d’en face, c’est la même chose, des hommes convaincus de leur bon droit, qui meurent pour leur patrie : « Le colonel, c’était donc un monstre ! A présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l’armée d’en face. » « Plus jamais ça » deviendra pour Céline une obsession qui le conduira à écrire Bagatelles pour un massacre, avec une bande-annonce qui en dira long sur ses intentions : « Pour bien rire dans les tranchées ». Il reprendra ses imprécations pacifistes avec toutes les outrances dont il était capable dans des ouvrages qui ont fait de lui le chien galeux des lettres françaises.

Céline, une saison en enfer, Le Figaro Hors-Série. 14,90 €, en kiosque ou sur Figaro Store