Tonnerre de Brest ! Cette intégrale de Jo, Zette et Jocko fonctionne un peu comme si l’on tenait entre ses mains un Tintin inédit. Depuis une dizaine d’années, les aventures de cette famille de héros, créée en 1936 par Hergé (qui a forgé son nom d’artiste à partir des initiales de son véritable nom, Georges Remi), n’avaient plus bénéficié d’une aussi belle remise à la lumière. C’est chose faite avec cet album proposant l’intégrale de la série, restaurée autant dans ses couleurs que dans le soin apporté au trait d’Hergé.
À l’origine, la série Jo, Zette et Jocko évolue en marge des aventures de Tintin. «C’est la première fois que les cinq aventures sont réunies de cette manière, précise Benoît Mouchart, spécialiste de Tintin et directeur éditorial chez Casterman. «C’est aussi la seule série française d’Hergé. Quel est donc ce mystère? Cela vient tout simplement du fait que depuis 1930, les éditions Fleurus publient Tintin dans Cœurs vaillants. Fin 1935, Hergé reçoit la visite des abbés Courtois et Pihan. Ils reprochent au reporter à la houppette de ne pas avoir de parents. Ils demandent ainsi à Hergé de concevoir une série familiale. Hergé s’acquitte de cette commande en imaginant “Jo, Zette et Jocko”. Jo, le petit garçon, porte le diminutif de Georges, le vrai prénom d’Hergé. Zette, porte, elle, également le diminutif de la mère d’Hergé, Elizabeth. Enfin le singe Jocko était la peluche favorite de Germaine, la femme d’Hergé.»
Le 19 janvier 1936, paraît dans Cœurs vaillants Le Rayon du mystère (qui deviendra le diptyque Le Manitoba ne répond plus et L’Éruption du Karamako). Suivront Le Testament de Mr Pump publié en deux parties, puis La Vallée des cobras. Cette magnifique série d’Hergé, -à redécouvrir d’urgence- possède le charme entêtant des œuvres soulevées par le grand vent du roman populaire.
Savant fou, robot incontrôlable, repaire sous-marin, tank amphibie, éruption volcanique sur une île perdue, raid supersonique Paris-New York, péripéties exotiques au pays des Maharajahs, tous les éléments narratifs empruntent à l’aventure avec un grand «A», dans la tradition des romans de Jules Verne.
Frère et sœur, Jo apparaît toujours habillé d’un polo rouge et d’un bermuda noir. Zette porte une robe bleue sur une blouse blanche, ses cheveux noirs étant noués de chaque côté par un ruban rouge. Fils et fille de la famille Legrand, avec un papa ingénieur, Jo et Zette sont accompagnés par un chimpanzé apprivoisé, Jocko, intelligent et débrouillard qui soliloque parfois comme Milou.
«En relisant d’une traite les cinq épisodes de “Jo, Zette et Jocko”, confie Benoît Mouchart, j’ai pris conscience que cette série possédait une fantaisie plus débridée que dans Tintin. Jo et Zette sont toujours kidnappés par des méchants, les parents sont éplorés en permanence, mais cela permet aussi à Hergé de mener des expérimentations visuelles plus audacieuses. Il tente des effets de perspective avec des escaliers, il s’autorise des profondeurs de champ, notamment dans la base souterraine du “Manitoba ne répond plus”, dont Michel Greg s’inspirera plus tard pour le film d’animation “Tintin et le lac au requin”.»
Il est clair que les intrigues imaginées par Hergé pour ses albums relèvent beaucoup plus d’un romanesque à la Rouletabille, de Jules Verne ou encore du roman populaire Les cinq sous de Lavarède de Paul d’Ivoi et Henri Chabrillat.
LA CASE BD
Parmi les cinq épisodes réalisés entre 1936 et 1957, où l’on croise de nombreuses références dans l’air du temps, Benoît Mouchart ne cache pas sa passion inconditionnelle pour Le Testament de M.Pump.
«Dès les débuts de cette aventure virevoltante, décrypte l’auteur de “A l’ombre de la ligne claire”, on fait connaissance avec un extravagant milliardaire, fou de vitesse nommé Mr Pump. Ce dernier évoque bien sûr le fameux Howard Hughes, magnat de l’aviation et hommes d’affaires légendaires. Mais si l’on prend un peu de recul, on s’aperçoit qu’Hergé s’exerce à une satire mordante du taylorisme américain, ce fameux «Time is money» en forme de capitalisme frénétique… Et finalement ce M. Pump fait davantage penser à Elon Musk ou Jeff Bezos!»
Ce que l’on constate surtout, c’est l’étonnante modernité d’Hergé. «Avec cette intégrale, c’est comme si l’on découvrait une pièce manquante du grand puzzle de l’œuvre d’Hergé, conclut Benoît Mouchart. Les aventures de Jo, Zette et Jocko sont à la fois plus naïves, plus mélodramatiques, mais aussi plus haletantes et libres. Elles n’ont pas pris une ride!»
Jo, Zette et Jocko: intégrale, par Hergé, 272 p., aux éditions Casterman. 30 €.