Il ne suffit pas d’avoir été un grand danseur puis professeur à l’Opéra de Paris pour être qualifié de «maître». Incontestablement, Attilio Labis en était un. Par son charisme sur scène et l’intelligence avec laquelle il transmettait dans les studios. Son décès à l’âge de 86 ans, jeudi 26 janvier, a déclenché une foule de témoignages. Plusieurs générations d’étoiles, celle des Manuel Legris, Laurent Hilaire, puis celle de Nicolas Le Riche ou Karl Paquette ont bénéficié de son enseignement à l’école de Danse. Au Conservatoire, il a particulièrement fait travailler Isabelle Ciaravola. Mais Myriam Ould Braham encore étoile aujourd’hui avoue lui devoir beaucoup de son art. Comme si son enseignement porté d’une étoile à l’autre devait scintiller sans fin. Et c’est à cela, sans aucun doute, qu’on reconnaît les maîtres.

Né en 1936 d’un père sicilien et d’une mère française, Attilio Labis commence sa formation à l’École de Danse de l’Opéra de Paris à l’âge de neuf ans. Il intègre le Corps de Ballet en 1954, est promu «Premier Danseur» en 1960 et est nommé «Étoile» en 1961. Le cheveu brun et souple, l’œil clair, la taille élancée, Attilio Labis frappe par sa beauté. Gene Kelly qui arrive à l’Opéra de Paris en 1960 pour créer Pas de Dieux lui confie le premier rôle ainsi qu’à Claude Bessy. Les deux font la paire: charisme et abattage, ingrédients d’une danse solaire qui fait du spectacle une fête. Impressionné, Serge Lifar lui confie le rôle d’«Icare» repris en 1962, dans un décor de Picasso et sur une musique de Honegger. Il le guidera aussi pour «Giselle» où il sera le partenaire d’Yvette Chauviré.

Labbis interprète les princes du répertoire classique, danse Coppélia, Roméo et Juliette et crée La Symphonie Concertante et But de Michel Descombey (1963) ainsi que Renard d’un certain Maurice Béjart (1965). À 36 ans, il quitte Paris pour une carrière internationale. Il est si bon partenaire que les femmes se le disputent. Il danse avec Claire Motte, Christiane Vlassi, son épouse, Noëlla Pontois, mais également avec Margot Fonteyn, Rosella Hightower, Carla Fracci, Natalia Makarova ou Elisabetta Terabust. Chorégraphe, il a réglé ses versions de Spartacus, Roméo et Juliette, Casse-Noisette, Shéhérazade et créé Arcades en 1964 pour le Ballet de l’Opéra de Paris, ballet qui entre au répertoire de l’École de Danse en 1981.

Puis il devient professeur. Dans le ballet et à l’école de l’Opéra, au Conservatoire nationale et chez Stanlowa. Il se démultiplie aussi comme juré de concours. Attilio Labbis est à l’affût des danseurs de demain: «Il était d’une générosité extrême quand il avait un talent entre les mains», note Manuel Legris. Le classique le passionne. Il est partout, ne donne pas dans le compassé, aborde les danseurs avec une décontraction débonnaire, puis les guide avec un enthousiasme qui laisse place à une réelle subtilité. En outre, il est viril, prône l’accord parfait dans l’adage, discipline qu’il marque durablement. Il porte l’art du pas de deux à des sommets d’incandescence: à la fois il donne tous les trucs pour porter et se faire porter mais il exige aussi que le danseur sublime sa partenaire. Le remarquable, est que depuis le fond du studio, Labbis garde intact son charisme et sait aller droit au but. «Peu de mots suffisaient pour nous guider, simples, précis, implacables», écrit Laurent Novis en hommage. «Tellement merci très cher Attilio pour tout ce que vous nous avez donné, votre sourire, votre bienveillance, votre entêtement à défendre la cause de la danse classique et votre vision du Grand Opéra de Paris, votre amour de notre art et de l’enseignement», écrit Gil Isoart.

Le plus bel hommage rendu par ses anciens élèves est sans doute celui de l’étoile Isabelle Ciaravola, qu’il avait fait travailler depuis 1985: «Je n’ai compris que bien plus tard le sens de certains de vos mots, le sens que tout danseur se doit de donner à sa danse.Cette ExpressionArtistique et Corporelle dont vous ne cessiez de parler, cette fluidité de mouvement, légèreté de bras qui devaient habiter et rendre plus vaporeux et féminin une danse qui ne devait pas se contenter d’être une exécution de pas.Vous m’aviez un jour qualifiée de Poème, vous en avez été l’écrivain car vous m’avez fait OSER.»