N’était son âge (76 ans), on pourrait penser qu’Alexandre Arcady est un jeune metteur en scène. Plein de fougue dans son bureau parisien au cœur du 8e arrondissement de la capitale, il raconte son dernier film, sa vie et ses projets avec gourmandise. Seules les anecdotes et les affiches de film, nombreuses, sur les murs trahissent la longévité du réalisateur depuis son premier long-métrage Le Coup de sirocco, en 1979 jusqu’au dernier, sorti voici quelques jours, Le Petit Blond de la Casbah.

Quel est le secret de sa vitalité? Sûrement pas la pratique du sport! Alexandre Arcady l’admet bien volontiers, il n’en fait jamais et n’en regarde pas non plus à la télévision! À tel point que sur le tournage du Coup de sirocco, pour une scène où il devait jouer au football, Patrick Bruel a dû prendre les choses en main pour lui expliquer ce qu’était un pénalty! En réalité, cette vitalité lui vient justement du cinéma. «Il n’y a rien de plus exaltant. Ça me permet de rester jeune», reconnaît-il. Dans son dernier film, il fait dire à son héros, qui l’incarne enfant: «J’aime mieux le cinéma que la vie.» «On a le pouvoir du destin, on fabrique tout», dit le metteur en scène, qui s’inspire toujours d’événements de la vie pour raconter des histoires. «Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Ce sont les situations qui ont fait mes films.»

Son premier long-métrage, Le Coup de sirocco, même s’il est tiré du livre de Daniel Saint-Hamont, mêle sa propre expérience de «l’exode» des pieds noirs d’Algérie en métropole. Le tournage avec Roger Hanin lui donne envie de recommencer l’expérience. Ce sera Le Grand Pardon, énorme succès en 1982. Le film sort en salle le même jour que celui d’Yves Boisset, Espion, lève-toi, avec Lino Ventura. Alexandre Arcady sort vainqueur de la compétition, dès le premier jour d’exploitation. Le soir même, l’équipe se retrouve dans un restaurant. À minuit, Lino Ventura, vient, en gentleman, saluer et féliciter Roger Hanin. «En les voyant tous les deux, je me suis dit qu’il fallait les faire tourner ensemble. J’imagine Le Grand Carnaval avec eux.» Ce film est né de cette image, même si à l’arrivée, Lino Ventura ne le tournera pas. Alexandre Arcady est attentif à tout ce qui se passe autour de lui. Il observe tout. En dehors de Hold-Up, un film de commande avec Jean-Paul Belmondo («tourner avec Belmondo, ça ne se refuse pas»), ses 17 réalisations ont toujours un lien avec une actualité ou un événement de sa vie.

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Est-ce parce qu’il découvre le cinéma en regardant Jeux interdits, à l’âge de 7 ans, à l’Olympia d’Alger? Le parallèle entre ce que raconte ce film, l’exode sur les routes françaises face à l’avancée de l’armée allemande en 1940, et la guerre en Algérie à cette époque le marque profondément. «J’ai eu l’impression que la pellicule entrait dans mes veines. Le cinéma m’a permis de traverser la guerre avec moins d’angoisse.» C’est son refuge quand les attentats se multiplient à Alger, avant «l’exode» vers la métropole. Il y va accompagné de sa voisine, ou de sa mère, quand elle veut échapper aux crises de jalousie de son mari, ancien légionnaire hongrois. Le Petit Blond de la Casbah, chronologiquement, aurait dû être son premier film. Ancien directeur du Théâtre Jean Vilar de Suresnes, à 25 ans, il a tenté de devenir acteur, sans véritablement percer, et veut passer à la mise en scène, au cinéma. Mais dans les années 1970, Alexandre Arcady ne se sent pas prêt à aborder ses souvenirs personnels. Avec Diane Kurys, il crée sa société de production Alexandre Films, en hommage à son père Alexandre Egry. Il a déjà compris que pour contrôler son travail, il ne doit pas laisser des producteurs extérieurs décider.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Le confinement l’a décidé à franchir le pas. «Ce qui m’a le plus impressionné pendant cette période, c’était le silence! Les bruits de mon enfance sont revenus.» Et l’ambiance de cet immeuble de la basse casbah d’Alger où tout le monde cohabitait sans problème, juifs, arabes, chrétiens. Chacun partageait les joies des autres pendant les fêtes religieuses. «On était pauvres, mais riches de nos partages, de nos grandes tribus.»

Même si les souvenirs d’enfance idéalisent forcément un peu le monde dans lequel il vivait pour ne retenir que quelques bons moments, l’accueil fait à son film lui fait chaud au cœur. Après une projection à Marseille, une femme est venue lui dire: «J’ai ri, j’ai pleuré, je me suis régalée.» Le plus beau compliment pour Alexandre Arcady. Surtout après les massacres du 7 octobre en Israël et la montée de l’antisémitisme en France. Après quelques jours de sidération, il a voulu prendre la parole pour rompre le silence de ceux dont il avait pensé qu’ils s’exprimeraient spontanément. «Le silence était terrible, donc je me suis exprimé pour dire qu’il ne faut rien laisser passer. Car la majorité des gens ne sont pas antisémites en France.» Le réalisateur se refuse à céder à la peur. «Il ne faut pas que tout cela engendre de la peur. Il faut que ça engendre du courage. Moi aussi je peux dire vive la Palestine. Mais jamais je ne dirai mort aux Arabes! Mon pays, c’est la France. Mon cœur est en Israël, mais mon âme va en Algérie. Je suis riche de tout ça, c’est ça que j’ai envie de transmettre.»

Alexandre Arcady fourmille de projets, d’histoires à raconter. Il a déjà l’idée de son prochain film, quand le dernier est encore à l’affiche. Ce sont d’ailleurs les spectateurs qui l’ont convaincu. Ils étaient nombreux à lui demander ce qu’il advenait du petit garçon après sa traversée de la Méditerranée. Alexandre Arcady a donc décidé de tourner la suite: l’histoire du petit blond à Paris.