C’est une question qui hante les religions et les arts depuis des millénaires. Que devons-nous penser et faire de cette part malveillante que nous portons en chacun de nous ? Ce « côté obscur » vers lequel nous pouvons tous être potentiellement attirés a été personnifié dans la saga de science-fiction Star Wars par la figure emblématique de Dark Vador. C’est une ombre dont le psychanalyste Carl Jung dit qu’il faut oser la regarder pour pouvoir se rencontrer soi-même…
On pourrait aussi la définir comme l’ensemble des comportements ou des aspects de notre personnalité qui dévient du sens commun. Il faut rappeler que la notion est relative, puisque « la définition de ce qui est bien ou mal varie selon la culture. L’homosexualité, par exemple, a pu être considérée comme un péché ou une perversion à certaines époques, mais totalement acceptée à d’autres, pendant la Grèce antique par exemple », rappelle Stéphane Rusinek, psychologue clinicien et professeur à l’université de Lille. Il n’y a de côté obscur que par rapport à des normes sociales.
Certains actes sont tout de même considérés dans à peu près toutes les sociétés et les époques comme mauvais, tels que le meurtre ou le viol. Or chacun peut être traversé par des idées destructrices de cet ordre. « Si on pouvait connaître toutes les pensées des gens, l’humanité n’existerait plus. Ce serait tout bonnement insupportable, tant nos émotions sont variables et incohérentes d’un instant à l’autre », estime Éric Charles, psychiatre au centre hospitalier Esquirol, à Limoges. « Il y a dans la fiction de George Lucas cet équilibre à trouver entre le côté lumineux et obscur de la force. L’un n’existe pas sans l’autre, à l’image du yin et du yang. Ces deux mouvements coexistent en nous », appuie le psychologue Jean-François Marmion, auteur du livre « La psychologie selon Star Wars ».
La plupart de ces pensées destructrices demeurent fort heureusement à l’état d’idées. Elles peuvent malgré tout nous effrayer et nous tourmenter. « J’ai entendu à maintes reprises des patients me confier : ‘si les autres savaient ce que je pense vraiment, ils ne pourraient pas m’aimer, ils penseraient que je suis une mauvaise personne’ », rapporte Stéphane Rusinek. Un travail de restructuration cognitive peut les aider à prendre du recul et à accueillir ces pensées plus sereinement.
De fait, d’après le psychologue, nous avons tous tendance, à des degrés divers, à manipuler les autres pour tenter d’obtenir quelque chose – par exemple des biens matériels, de l’argent, de l’admiration ou de l’amour. De même, nous sommes régulièrement traversés par des pensées négatives, par des envies de violence envers autrui qui sont « naturelles et compréhensibles chez l’être humain. D’ailleurs, les deux principaux tests de personnalités, le NEO-Pi et le MMPI , contiennent des questions comme ‘avez-vous déjà pensé du mal de quelqu’un ?’ ou ‘avez-vous déjà eu envie de tuer quelqu’un ?’. Si l’individu a un résultat ‘trop’ bon, on va considérer qu’il a menti et que les résultats du test ne sont pas fiables », pointe Stéphane Rusinek.
Des pensées irrationnelles peuvent surgir de manière fugitive, par exemple l’idée de s’encastrer dans la voiture d’en face lorsqu’on est au volant. Certaines personnes sont prises d’une phobie d’impulsion, un phénomène qui concernerait 100 000 individus en France. Ils sont terrorisés à l’idée, par exemple, de jeter un nourrisson par la fenêtre, de crier des blasphèmes dans un lieu de culte ou de tuer quelqu’un avec un couteau de cuisine. Il n’y a pourtant jamais de passage à l’acte. « La phobie d’impulsion se traite en s’exposant progressivement à l’objet de la peur. On va ainsi inviter le patient à saisir un couteau pour qu’il voie qu’il ne se passe rien », décrypte Stéphane Rusinek. Ce n’est donc pas une pathologie contrairement à la psychopathie qui, elle, implique un danger pour soi-même ou autrui.
Certains contextes comme la peur ou l’emprise de produits toxiques favorisent l’expression de notre « part obscure ». Dans le cas des addictions, le patient qui cède à la substance « se retrouve envahi, n’a plus l’impression d’être lui-même : on parle de dépersonnalisation », observe Éric Charles. Les nombreux scandales rapportés sur des célébrités rappellent enfin qu’une situation de pouvoir, dans laquelle personne ne nous donne de limites, peut donner l’impression d’être tout puissant et désinhiber les pulsions, qu’elles soient créatrices ou destructrices… quitte à révéler le pire aspect de nous-même.