À l’heure où près d’un Français sur deux est atteint de surpoids ou d’obésité, où en est-on de la perception par le grand public des personnes concernées ? Les voix ont beau se multiplier pour dénoncer les excès du culte de la minceur, une récente étude menée par des chercheurs français de l’université Sorbonne-Paris Nord montre que la population française nourrit encore de forts préjugés autour de l’obésité ou du surpoids.
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L’étude en question, publiée dans l’American Journal of Preventive Medicine, a été conduite auprès d’une cohorte de près de 34 000 adultes français issus de la cohorte NutriNet-Santé, dont 35% étaient en situation de surpoids ou d’obésité. Parmi les participants, 55% ont reconnu se préoccuper excessivement du poids tandis que 45 % considèrent que l’obésité est due à «un manque de volonté». Une croyance qui était corrélée à des facteurs sociodémographiques tels qu’avoir un poids normal, un faible niveau d’éducation ou un revenu élevé. « Plutôt que le niveau d’étude, c’est le type d’éducation qui est intéressant », nuance Alice Bellicha, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord et principale auteure. « Par exemple, on se rend compte que les étudiants en santé ont moins de préjugés que des étudiants du même âge dans d’autres filières – en commerce par exemple – justement parce qu’ils sont sensibilisés à ce sujet ».
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Selon les chercheurs, cette vision erronée des Français envers les personnes souffrant d’obésité est révélatrice d’une méconnaissance alarmante des causes de cette pathologie. « Des études d’intervention menées aux États-Unis montrent que lorsqu’on apprend aux étudiants les causes de l’obésité, leurs préjugés diminuent », explique Alice Bellicha. En l’occurrence, l’obésité est d’origine multifactorielle, mêlant à la fois des facteurs comportementaux, environnementaux, génétiques, métaboliques, sociaux et psychologiques. « L’origine d’une importante prise de poids est donc bien plus complexe qu’une affaire de motivation ou de choix personnel », explique Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO).
Mais alors d’où viennent ces idées préconçues ? Selon Anne-Sophie Joly, « les préjugés s’installent entre 3 et 6 ans. Une fois qu’ils sont établis, l’enfant est assis sur des croyances jusqu’à 11-12 ans. » Cela signifie que les enfants construisent leur perception dès le plus jeune âge sous l’influence de leurs parents et de leur environnement social. Quant au fautif de la hausse moyenne du poids des Français, selon une récente étude, Jean-Michel Oppert, chef de service Nutrition à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP) et coauteur de l’étude, pointe le système alimentaire lui-même. « Plutôt que d’accuser les gens sur leur manière de s’alimenter, il serait plus correct de s’interroger sur tout le système alimentaire actuel qui favorise la surconsommation ».
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Le cri d’alarme a également pour objectif de sensibiliser sur les conséquences importantes de la « grossophobie » sur la santé mentale et physique, le parcours professionnel (discrimination à l’embauche, salaires inférieurs, moins de promotions), les interactions sociales mais aussi sur l’estime de soi. « Chez les jeunes en particulier, la pression d’avoir le corps parfait instaure un climat anxiogène à l’idée de prendre du poids, le phénomène étant accru par l’utilisation croissante des réseaux sociaux », informe Anne-Sophie Joly.
Déconstruire les préjugés permettrait, selon les chercheurs, de réduire les formes de stigmatisation. « En ce sens, nous plaidons pour le développement de l’information du public mais aussi une meilleure formation des professionnels de santé», indique Jean-Michel Oppert. Cela devrait permettre d’instaurer un environnement plus inclusif à l’égard des personnes souffrant d’un excès de poids: « choisir un mobilier adapté à toutes les corpulences, par exemple des fauteuils de plus grande taille dans une salle d’attente, c’est déjà un signe d’ouverture et de tolérance », constate le médecin.