C’est un cri d’alarme que lance la Société française de néonatologie : alors que la mortalité néonatale augmente depuis dix ans en France, le nombre de lits de réanimation pour prendre en charge les bébés les plus fragiles est « insuffisant et inégalement réparti sur le territoire », explique la société savante dans un rapport publié lundi.
Les experts ont mené plusieurs enquêtes depuis fin 2021, explorant l’offre de soins (en néonatalogie et soins critiques) et la qualité de vie au travail des professionnels qui y exercent. Et ils jugent les résultats « très préoccupants ». Le nombre de lits de réanimation néonatale, déjà insuffisant, se réduit du fait des fermetures liées au manque de personnel alors que des bébés de plus en plus prématurés sont pris en charge et que le taux de grossesses poursuivies malgré une grave malformation fœtale est lui aussi en ( 200 % en dix ans, selon l’Agence de biomédecine). Les lits sont par ailleurs très inégalement répartis sur les territoires : il varie « du simple au double » selon les régions (de 0,6 à 1,28 lit pour 1000 naissances, et de 0,96 à 2,84 outre-mer). La région métropolitaine la plus mal dotée est Provence-Alpes-Côte-d’Azur, et la moitié sud du pays est globalement moins bien lotie que la moitié nord.
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Conséquence : « Les taux d’occupation sont très élevés », généralement supérieurs à 90 %, voire à 100 % « environ 20 % du temps ». Or « des taux d’occupation élevés sont associés à une augmentation du risque de morbidité sévère et de mortalité chez les grands prématurés », alerte la société savante. Lors d’une enquête menée en février 2023, 23 % des services interrogés ont déclaré « refuser régulièrement des entrées critiques faute de place ». Il est devenu courant lors des épidémies de bronchiolite de voir la cote d’alerte dépassée et des bébés être hospitalisés très loin de chez eux, faute de place là où ils sont nés. Cela a été tout particulièrement vrai durant l’hiver 2022-2023.
Comme partout à l’hôpital, les soignants souffrent d’une qualité de vie au travail dégradée et de la pénurie des personnels. 80 % des services interrogés peinent à remplir leurs plannings de garde, et « au moins un poste de pédiatre néonatologiste est vacant dans 73% des services de type 3 » c’est-à-dire ceux habilités à recevoir les nouveau-nés les plus à risque. 80 % des 721 pédiatres néonatologistes ayant répondu ont dit travailler plus de 50 heures par semaine, et 13 % plus de 75 heures ! Un rythme de travail épuisant, qui pousse certains à envisager de renoncer. La situation n’est pas meilleure du côté des infirmiers : dans huit services sur dix, au moins un tiers de l’effectif a moins de 2 ans d’expérience, alors que c’est la durée jugée nécessaire pour être pleinement compétent dans ces services très particuliers. Mais ils peinent à fidéliser leurs personnels. Et les effectifs restent insuffisants : le rapport entre effectifs infirmiers réels et effectifs théoriques souhaitables est inférieur à 1 entre 60 et 70 % des journées, selon les critères retenus.
Ce triste constat est dressé alors que les chiffres de la mortalité infantile ne sont pas bons et se dégradent en France, rappellent les experts : depuis 2012, le nombre de décès néonataux est en augmentation et supérieur à la moyenne européenne depuis 2015. « Avec un excès d’environ 1200 décès chaque année, la France, qui se trouvait en 3e position des pays à la mortalité infantile la plus faible d’Europe entre 1996 et 2000, se trouve désormais en 20e position », écrivent-ils en citant des statistiques de l’Insee, l’Ined et Europeristat. Premières victimes : les nourrissons de moins de un mois (74 % des décès, contre 65 % en 2005). Diverses hypothèses sont avancées pour expliquer ces mauvais résultats, à commencer par la hausse des facteurs de risques (âge de la mère, accroissement des grossesses multiples, précarité…). À l’inverse, les bons résultats des pays nordiques, qui se distinguent par une mortinatalité très basse (2,2 à 2,5 décès pour 1000 naissances en 2019 pour le Danemark, la Finlande et la Norvège, contre 3,6 en France) pourraient s’expliquer notamment par une meilleure « inclusion des parents comme partenaires de soins » (hospitalisation en chambres familiales, programmes de soins de développement centrés sur l’enfant et la famille…).