Ils concernent petits et grands, et handicapent des millions de Français. De nouveaux médicaments suscitent l’espoir.

Un orage sous le crâne. Des pointes de feu dans l’encéphale. « La migraine qui broie la tête rend fou, égare les idées », écrivait Guy de Maupassant à propos de ses crises. Les migraines et autres céphalées sont une nuisance, parfois un calvaire pour des millions de Français qui les subissent au quotidien.

Et pourtant, curieusement, le sujet n’est pas considéré comme une urgence de santé publique. C’est d’autant plus étonnant que les maux de tête sont des pathologies des plus communes : en France, une personne sur deux en a été victime dans l’année, une sur six en pâtit tous les jours avec des répercussions sociales et économiques importantes. Dans le monde, ces maux sont la troisième cause d’invalidité pour la population, tous âges confondus.

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On dira un peu vite qu’un mal de tête, ce n’est pas si grave. Cela dépend pour qui… Certaines céphalées extrêmement douloureuses ruinent la vie de malades migraineux ou souffrant d’algie vasculaire de la face. Pour eux, l’impact est tel que les activités familiales, sociales, scolaires ou professionnelles s’avèrent impossibles : il leur faut tout interrompre et s’isoler de longues heures sans lumière et loin du bruit. Un véritable handicap contre lequel il faut se battre.

C’est le cas de Pauline. Cette toute jeune femme « en mode survie » redoute à chaque instant la survenue d’une crise. « On me dit d’arrêter d’y penser car c’est comme ça qu’elle arrive… Soit. Mais si les gens avaient la moindre idée de ce qu’est une migraine avec aura… S’ils savaient la douleur physique et psychologique ressentie, ils comprendraient sûrement mieux pourquoi je passe ma vie à tout contrôler pour éviter d’en arriver là », raconte-t-elle sur le site de l’association La Voix des migraineux.

Sa pathologie constitue l’un des nombreux sous-types de la migraine, qui est elle-même l’une des 200 sortes de céphalées, affections aux origines variées dont les descriptions cliniques couvrent près de 500 pages dans la dernière édition de la classification internationale.

Les maux de tête peuvent être la conséquence d’une maladie, d’une intoxication (ceux des lendemains de fête alcoolisée sont célèbres), d’un traumatisme crânien… On les dit « secondaires ». Les céphalées primaires, elles, sont une source première de douleur. C’est dans cette catégorie que se range le plus répandu de tous les maux de tête, celui que nous éprouverons tous un jour dans notre vie : la céphalée de tension, pathologie aux origines encore mal élucidées, à la fois musculaires, psychologiques, et liées à un dysfonctionnement des systèmes de contrôle de la douleur.

« En règle générale, cette céphalée ne pose pas de vrai problème : un comprimé de paracétamol, un bol d’air, du repos, et c’est oublié ! » commente Jérôme Mawet, neurologue à l’hôpital universitaire de Lariboisière-Fernand-Widal à Paris. Mais pour un petit pour cent de la population française, la sédentarité, le surmenage, le stress, ou encore l’abus d’antidouleurs sont susceptibles d’en faire une maladie chronique qui frappe au moins un jour sur deux. Le moral en est évidemment affecté. Même si les douleurs, bien moindres que celles induites par une migraine, n’empêchent pas la personne de poursuivre ses activités.

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« On voit rarement ces patients dans nos services », pointe Michel Lantéri-Minet, neurologue au centre hospitalo-universitaire de Nice. Le praticien regrette que ces maux de tête répétés soient trop souvent perçus sous l’unique prisme de la psychologie et de la dépression. « Quand j’étais plus jeune, on le désignait même sous le terme de céphalée psychogène ! Vous imaginez l’effet sur une personne qui ne se sent absolument pas dépressive ? » poursuit le médecin.

« J’essaie de leur expliquer que nous sommes assez démunis face à leur maladie, et que nous avons peu de médicaments à leur proposer. » Quelques antidépresseurs ont d’après lui une petite efficacité pour espacer le nombre de journées avec maux de tête. Mais il oriente plutôt ses malades vers des approches non pharmacologiques, comme la stimulation magnétique transcrânienne.

Le principe : des ondes dans le cerveau pour apaiser le mal. Ce traitement, pratiqué dans certains services hospitaliers de prise en charge de la douleur, s’appuie sur des séances de vingt minutes. Des aimants sont attachés sur la tête du malade qui va être soumis à un champ magnétique pour stimuler ses neurones. La pratique a déjà fait ses preuves pour les douleurs dues à des lésions nerveuses et elle paraît prometteuse pour celles, problématiques, de la céphalée de tension chronique.

Autres solutions, des techniques de gestion du stress et de l’anxiété, comme les thérapies comportementales et cognitives, ont leur place dans la prise en charge des maux de tête trop fréquents. En particulier, lors d’une migraine chronique.

Avec cette pathologie, qui pourrit la vie de 2 à 3 millions de Français, la douleur s’exacerbe jusqu’à devenir parfois insoutenable. « Comment peut-on rester zen quand quinze à vingt jours par mois, voire plus, on n’est plus du tout opérationnel ? » interroge le Dr Mawet.

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Tel est le vécu d’une partie des migraineux, et surtout des migraineuses : deux à trois fois plus de femmes que d’hommes sont touchées après la puberté. Même souffrance violente pour ces quelques milliers de personnes atteintes de céphalées en grappe, ou algie vasculaire de la face, sous une forme chronique. Cette affection, rare et plutôt masculine, se caractérise par des douleurs autour de l’œil et dans la tête si ravageuses qu’elles peuvent pousser au suicide. A-t-elle des points communs avec la migraine ?

« Il y a pour l’une et l’autre des facteurs génétiques de prédisposition », répond Christian Lucas, neurologue au centre hospitalo-universitaire de Lille, et actuel président de la Société française d’étude de la migraine et des céphalées. La nature génétique de la migraine, suspectée de longue date, fut révélée en étudiant l’une de ses formes particulières, présente chez plusieurs membres d’une même famille. Cette migraine hémiplégique génétique se traduit par ce que l’on appelle une aura motrice : la moitié du corps se retrouve paralysée, de façon transitoire et plus ou moins marquée, avant la céphalée.

À ce jour, quatre versions – ou mutations – de gènes ont été mises en cause. En pratique, l’examen génétique permet de confirmer un diagnostic, sans qu’il y ait nécessairement de symptômes. Les mutations ne font en effet qu’augmenter le risque d’être malade. Mais elles sont malheureusement très nombreuses. En février dernier, une vaste étude publiée dans la revue Nature a repéré dans nos chromosomes plus de 120 emplacements où des mutations prédisposent à leur survenue. Les connaître devrait permettre d’en savoir plus sur les mécanismes en cause, pour mieux y remédier.

Génétique, toujours, d’autres données éclairent d’un nouveau jour un phénomène jusque-là mystérieux. « On savait que des femmes pouvaient passer de la migraine à l’algie vasculaire de la face après la ménopause, et il arrivait même, plus rarement, que les deux maladies coexistent, indique le Dr Lucas. Sept gènes de susceptibilité à ces algies viennent d’être découverts… dont un qui prédispose aussi à la migraine. »

Pour l’heure, l’origine de l’algie vasculaire de la face reste mal comprise. On sait toutefois que cette maladie correspond, comme la migraine, à un dys­fonctionnement d’une petite structure située à la base du cerveau : l’hypothalamus, au rôle fondamental dans la régulation de la faim, de la soif, du sommeil, des émotions, etc.

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On sait aussi que les deux maladies impliquent l’activation du plus volumineux des nerfs crâniens, le nerf trijumeau. « Mais on ne sait ni pourquoi ni comment l’algie vasculaire de la face peut passer d’une forme épisodique, avec une courte période douloureuse suivie d’une longue période de rémission, à une autre chronique où la situation est inversée », commente le Pr Anne Ducros, neurologue au centre hospitalo-universitaire de Montpellier.

Le scénario est mieux cerné pour la migraine. Qu’il y ait ou non une gêne à la lumière, que soient présents ou non des vomissements, que les maux de tête soient ou non précédés par une aura, la migraine démarre dans tous les cas par une activation aberrante de l’hypothalamus et conduit toujours à celle du nerf trijumeau.

Cela aboutit in fine à la dilatation et à l’inflammation douloureuse des artères irriguant méninges et cerveau. Et c’est à partir de ce constat que les tout premiers médicaments ont été proposés aux malades. Dans les années 1970 et 1980, en étudiant la dilatation des vaisseaux sanguins, des scientifiques néerlandais et australiens ont compris qu’un neuromédiateur, la sérotonine, pouvait avoir un effet bénéfique. Environ une décennie plus tard, ces recherches ont abouti à des médicaments capables de mimer ses effets et de contrer ainsi la douleur migraineuse : les triptans.

« Quand ils sont apparus, je n’étais encore qu’un interne en médecine et je ne connaissais pas grand-chose sur la migraine », raconte le Dr Lantéri-Minet. « Mais je me souviens parfaitement de la tête des malades venant tester ces produits à l’hôpital et repartant transformés : enfin, des médicaments parvenaient à les soulager ! »

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En comprimés, en spray nasal ou sous forme injectable, les triptans occupent aujourd’hui une place de premier ordre dans la prise en charge des crises sévères, y compris pour l’algie vasculaire de la face. Pour peu qu’ils soient pris à temps, ils sont d’une efficacité sans pareille pour calmer la douleur.

La génétique a confirmé le bien-fondé de leur utilisation : parmi les gènes incriminés dans la migraine, certains codent en effet pour le récepteur de la sérotonine. Mais elle a aussi renforcé l’intérêt pour une autre catégorie de médicaments visant un objectif ô combien important : diminuer l’intensité, la durée et le nombre des crises.

Pour éviter de les déclencher, un migraineux doit en permanence élaborer des stratégies, en particulier au travail. « Mes collègues ne se rendent pas forcément compte de tout ce que je peux mettre en place discrètement, explique Morgane. Mes écrans, par exemple, sont au plus bas niveau de luminosité, j’ai des lunettes spécifiques, j’évite de rester trop près d’une fenêtre… »

Pour minimiser le risque d’une migraine, chacun apprend rapidement à éviter les stimuli qu’il sait capables de les provoquer. La maladie, en effet, rend le cerveau tellement excitable que le processus délétère s’enclenche dès que des changements un tant soit peu importants sont perçus. Voilà pourquoi certains fuient les arrivées brutales de lumière, de bruit, d’odeurs, etc. Tout n’est cependant pas contrôlable : impossible, par exemple, d’empêcher le taux d’hormones d’une femme de varier tous les mois. D’où l’importance de médicaments pour rendre le cerveau moins sensible.

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Manon, jeune étudiante, est ainsi sous bêtabloquants depuis sa terminale : cela lui permet d’espacer ses crises de migraine avec aura visuelle de trois à quatre mois. Mais ce n’est pas idéal : les médicaments pour ces traitements de fond n’agissent pas rapidement, et exposent les malades à de fréquents effets indésirables : somnolence, problèmes de concentration, prise de poids, perte de cheveux… Résultat, « au bout d’un an, 80 % des patients cessent de les prendre », déplore le Pr Ducros.

De ce relatif constat d’échec est né l’espoir fou suscité par de nouvelles molécules : des anticorps dirigés contre un médiateur de la douleur, et appelés anti-CGRP (pour peptide relié au gène de la calcitonine).

« J’ai eu droit au parcours du combattant. J’ai pris des traitements de fond les uns après les autres en espérant qu’ils fonctionnent », se rappelle Barbara qui, autour de la cinquantaine, a fini par se retrouver aux urgences deux fois dans la même année tant la douleur était insupportable. Elle avait cessé de travailler et désespérait. Jusqu’à ce que son neurologue lui prescrive des anti-CGRP.

« J’étais sceptique, et puis… l’amélioration a été rapide, excellente, et ma vie a complètement changé ! » Aujourd’hui, sa migraine n’est plus qu’un mauvais souvenir : elle peut aller au restaurant sans craindre une crise, sortir avec des amis… en somme s’autoriser tout ce qu’elle s’était depuis longtemps interdit. Pour les millions de migraineux, les maux de tête invalidants pourront-ils, demain, sombrer dans l’oubli ?

Barbara vit en Suisse, où le traitement anti-CGRP est remboursé à hauteur de son prix de vente. Ce n’est pas le cas en France. En outre, ces médicaments ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) très restrictive, excluant par exemple l’algie vasculaire de la face.

S’ils ont l’immense avantage d’être très efficaces et dénués d’effets indésirables, ils ne fonctionnent pas pour une petite fraction des migraineux. Malades et médecins tâchent néanmoins de rester confiants. D’autant que d’autres molécules sont dans les cartons, dont certaines déjà commercialisées aux États-Unis.