Le Dr Mathias Wargon est chef du service urgences-Smur à l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis) et président de l’Observatoire régional des soins non programmés d’Île-de-France.

Personne n’est plus satisfait du fonctionnement des urgences. Ni les patients, ni leurs proches, ni les soignants des urgences ou d’ailleurs. Faut-il se résigner ?

Les urgences sont un lieu à haut risque. On y prend énormément de décisions rapidement, avec peu d’informations, et pour plusieurs patients potentiellement graves pris en charge simultanément. Le personnel, qui a un fort taux de turn-over, est souvent jeune et peu expérimenté. Les interruptions de taches sont fréquentes. Un patient peut être pris en charge par plusieurs équipes successives avec une perte possible d’information, le tout entraînant un déficit de communication avec les familles dont la présence dans les urgences est considérée comme une charge de plus.

Sur le problème de la surcharge, tout a été dit. La hausse de la fréquentation des urgences est vertigineuse : chaque année, 500.000 patients supplémentaires s’y rendent, pour atteindre 22 millions en 2019. Et ça continue. Le temps de construire un service, il est déjà trop petit. Cela a des conséquences, décrites dans la littérature scientifique : retards de prise en charge, surmortalité des personnes âgées, erreurs médicales, absence de communication avec les patients, blackout pour les familles, attractivité nulle et personnels en fuite.

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L’un des écueils fréquemment avancés est celui de l’aval des urgences (les services où sont hospitalisés les patients ne pouvant pas regagner leur domicile). Malgré le développement de l’hospitalisation ambulatoire (quand le patient ne passe pas la nuit à l’hôpital), la compétition entre les hospitalisations programmées par les services et celles demandées par les urgences reste vive. Et les places dans ce que l’on appelle l’aval de l’aval (le retour à domicile avec des aides, les soins de suite, et les EHPADs) sont trop peu nombreuses, bloquant de nombreux patients à l’hôpital.

Disons-le tout de suite : ces problèmes sont réels et indéniables. Mais ce ne sont pas les seules explications aux difficultés des urgences, même si elles sont les plus faciles et permettent de rejeter l’ensemble des dysfonctionnements sur les politiques ou les ministères. Mais on ne peut pas ne pas parler de la responsabilité des hôpitaux et des services d’urgence eux-mêmes, obligeant à un examen de conscience pas toujours agréable.

Les urgences ont changé, et le métier d’urgentiste est devenu une spécialité médicale à part entière. On pouvait espérer que cela améliore la situation des praticiens et leur enthousiasme à y travailler. Mais la prééminence, dans les instances représentatives, de médecins qui pensent encore que garder une bonne qualité de vie passe par le fait de travailler à temps partiel au SAMU n’a pas aidé. Et sait-on que le conseil national de l’urgence hospitalière est présidé depuis sa création en 2009 par un professeur de médecine qui n’a jamais travaillé aux urgences, et a été renouvelé à ce poste il y a quelques mois malgré son départ imminent à la retraite ? Quel message envoie-t-on aux personnels ?

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Parmi les solutions, la régulation des urgences semble faire l’unanimité, puisqu’elle permet de n’y envoyer que les patients dont l’état nécessite les soins pour lesquels elles ont été conçues. Encore faudrait-il que l’on puisse proposer des alternatives partout aux patients n’ayant pas besoin de la technicité des urgences, mais devant voir un médecin rapidement. Mais surtout, que penser de services qui se barricadent et mettent un vigile à l’entrée, empêchant tout contact avec le personnel soignant ? Et pourquoi ? Cela en dit long sur la dégradation des relations entre la population et ces personnels, et la nécessité d’avoir des coordonnateurs ou médiateurs.

Les politiques et les fonctionnaires de la santé se gargarisent du concept de «bed manager» (gestionnaire de lit). Mais ça n’est souvent qu’un nouveau nom plaqué sur des pratiques anciennes et inefficaces, une secrétaire ou une cadre infirmière faisant le tour de l’hôpital en quémandant des lits. Le vrai bed manager dépend de la direction et impose les patients aux services, mêmes quand ils rechignent. Ce n’est pas un hasard si des personnes âgées passent des nuits sur des brancards : polypathologiques, complexes à prendre en charge, ils sont récusés au profit de patients dont on sait qu’ils quitteront plus vite l’hôpital.

Le service d’urgence est ouvert 24/24 et sept jours sur sept, avec désormais une activité continue même aux heures les plus profondes de la nuit. L’hôpital fonctionne sur des horaires de bureau. Il devient inévitable que les temps d’attente pour un examen radiologique ou un avis de spécialiste s’allongent, participant à l’augmentation du temps de prise en charge de l’ensemble des patients présents.

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L’organisation interne des urgences est souvent obsolète, datant d’une époque où le service assurait de bon gré ce que les autres ne faisaient pas. Cette charge de bon samaritain tue ces services et n’est parfois pas reconnue financièrement, ce qui permettrait pourtant d’étoffer les équipes. La surveillance de patients hospitalisés mais sans lit, ou placés dans des pseudo-unités d’observation alors qu’ils relèvent de la réanimation, est une charge importante qui n’est souvent pas compensée en personnel, puisque non officielle. Mais si les urgentistes ne s’en occupent pas, personne ne le fera.

Les effectifs insuffisants ? En réalité, même quand le personnel est en nombre, il manque. La pratique des urgences nécessite de la formation continue, des entraînements réguliers. Les temps de formation sont largement insuffisants. Comment assurer une prise en charge optimale pour un nombre très large de pathologies si on ne révise pas fréquemment ? La rédaction de protocoles que personne ne lira jamais n’est un bon indicateur que pour ceux qui croient que la qualité se fait à partir de fiches.

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En réalité, avant de parler d’organisation de l’hôpital et du système de santé, il est nécessaire de réorganiser les urgences. On ne peut pas continuer dans ce système complexe sans un chef d’orchestre. Et pourtant, on s’est éloigné du système managérial classique. L’encadrement de proximité seul responsable des infirmiers et des aides-soignants croule sous les taches et les réunions qui l’éloignent des personnels. Le chef de service exerce souvent cette fonction sur une petite partie de son temps de travail. Les urgences, c’est pourtant comme une entreprise. Or que penserait-on d’un patron employant jusqu’à parfois plus de 100 personnes, ayant des centaines de clients chaque jour, et qui gérerait l’entreprise seulement quand il n’aurait rien d’autre à faire (ici, voir des patients) ?

Des exemples de services qui fonctionnent mieux que d’autres (ou moins mal si l’on est pessimiste) existent. Les erreurs sont connues, certaines solutions aussi. On ne peut plus se contenter de fatalisme ou d’injonctions. On ne peut pas continuer à faire des audits dans les services d’urgences quand les situations sont catastrophiques, sans implémenter vraiment les solutions retenues. Cela doit-il passer par une action extérieure ? Probablement, quand il n’est pas possible de réformer en interne et que ce qui guide le fonctionnement des urgences et de l’hôpital, ce sont les rapports de forces entre ceux qui en ont la charge, plutôt que l’intérêt des patients.