C’est l’un des médicaments les plus vendus en France, selon les bases de données de la Sécurité sociale, et des liens ont été établis entre un déficit en vitamine D et de nombreuses maladies. D’aucuns voudraient, a fortiori durant l’hiver, en prescrire à tout le monde. Mais manquons-nous vraiment tous de vitamine D ? Ce supposé déficit fait-il le lit de nombreuses maladies ? Faut-il se supplémenter ? « Le Figaro » fait le point.

La vitamine D joue un rôle essentiel dans l’absorption par l’intestin du calcium, et par les reins du calcium et du phosphore. Elle est donc essentielle pour une bonne minéralisation osseuse, et son manque peut être responsable de rachitisme chez l’enfant (avec des retards de croissance et des déformations osseuses), et d’ostéomalacie (os « mou ») ou (mais ce point est controversé) d’ostéoporose (os moins dense) chez l’adulte. Plus récemment, la recherche a mis en évidence des récepteurs à vitamine D dans la plupart des tissus de l’organisme ; elle interviendrait donc dans de nombreux processus physiologiques et aurait des effets anti-infectieux, anti-inflammatoires, antitumoraux, cardio-vasculaires.

On la trouve dans certains aliments, mais « la vitamine D de l’organisme provient à 80-90 % de la biosynthèse cutanée sous l’effet des rayonnements ultraviolets (UV) du soleil », rappelait le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dans un avis publié en 2022. Elle est synthétisée dans notre peau, à partir d’un dérivé du cholestérol ; sous l’effet des UV, il se transforme en une molécule nommée cholécalciférol. Celle-ci est métabolisée par le foie en 25-hydroxy-vitamine D (la molécule recherchée dans les dosages sanguins de vitamine D), puis par le rein en 1-25-dihydroxy-vitamine D (la forme active de vitamine D). Associée à une alimentation équilibrée, la simple exposition des avant-bras et du visage quelques minutes à quelques dizaines de minutes deux à trois fois par semaine, selon l’ensoleillement et la couleur de la peau, suffiraient à remplir les besoins de la plupart d’entre nous.

En population générale, on parle de carence en dessous de 10 nanogrammes par millilitre de sang de 25-hydroxy-vitamine D (1 nanogramme est un milliardième de gramme), et d’insuffisance entre 10 et 20 ng/ml. Le HCSP précise que, « par souci de prudence, la concentration maximale (…) à ne pas dépasser est aujourd’hui fixée entre 50 et 60 ng/ml ». En population générale, 4 % à 6 % des adultes français seraient carencés, et 40 % à 50 % en déficit. Et 80 % sont en dessous de 30 ng/ml, et considérés en déficit par certains experts. Une si large part de la population peut-elle véritablement être en déficit d’une vitamine aussi essentielle sans pour autant inquiéter les pouvoirs publics ?

En réalité, ces seuils sont issus d’avis de groupes d’experts sur des bases relativement fragiles, et ils sont contestés, en particulier celui de 30 ng/ml. D’autant que l’un des papes de la vitamine D aux États-Unis, rédacteur des directives américaines sur le sujet, a été épinglé pour ses liens avec les fabricants de vitamine D. En 2011, quelques mois après un rapport de l’Académie américaine de médecine qui estimait que la grande majorité des Américains n’avait besoin ni de supplémentation ni de dosage de vitamine D, l’endocrinologiste de l’université de Boston Michel Holick a supervisé au nom de l’Endocrine Society un rapport aux conclusions radicalement différentes, qui fait office de recommandations aux États-Unis. Or le Dr Holick, rapportait en 2018 le New York Times , a admis avoir été largement rémunéré comme expert par l’industrie pharmaceutique et des producteurs de compléments alimentaires, et avoir reçu des fonds de recherche de fabricants de cabines à UV. Il s’est défendu en affirmant que ceci n’avait pas influencé ses considérations scientifiques sur le sujet, mais cela jette pour le moins une ombre insistante sur la sincérité de ses prises de position.

Autre sujet de méfiance : la fiabilité et l’utilité des dosages de vitamine D, qui ne sont pas simples à réaliser et sont mal standardisés, ce qui complique la comparaison de deux résultats obtenus dans deux laboratoires différents.

En France, la Haute Autorité de santé (HAS) les réserve à 6 situations cliniques précises (suspicion de rachitisme ou d’ostéomalacie, suivi de l’adulte transplanté rénal, avant et après une chirurgie bariatrique, personnes âgées sujettes aux chutes répétées, prise de médicaments préconisant la réalisation du dosage de vitamine D). Hors de ces situations, leur coût doit être à la charge du patient selon l’Assurance-maladie, à qui ils coûtent très cher : 6,8 millions de dosages représentant un coût de 41,7 millions d’euros ont été effectués dans les laboratoires privés en 2022, contre 3,9 millions en 2015, soulignait-elle en juillet dernier dans son « Rapport charges et produits pour 2024 ». 90 % des dosages réalisés chez les 16-65 ans auraient été prescrits à tort et non conformes aux recommandations de la HAS.

Cancers, maladies cardio-vasculaires, fractures, AVC, maladies rénales, sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer ou plus récemment Covid-19… De très nombreuses études ont établi des liens entre déficit en vitamine D et mauvais état de santé. Mais elles n’établissent qu’un lien statistique entre les deux, sans permettre de savoir si l’on tombe malade parce qu’on manque de vitamine D, ou si l’on en manque à cause d’un état de santé dégradé. De très nombreuses équipes ont cherché à supplémenter des patients en espérant que cela améliorerait leur état de santé, mais presque tous les grands essais bien menés ont échoué à montrer un effet, y compris chez les publics en déficit au début de l’étude. Certains ont semblé pencher en faveur d’un effet positif, qui a ensuite été démenti. Ainsi de l’asthme : en 2016, une revue de littérature de la collaboration Cochrane avait jugé que la vitamine D semblait réduire le risque de crises d’asthme ; mais sept ans plus tard, en février 2023, les mêmes auteurs ont actualisé leurs travaux et n’ont pas retrouvé de preuves de cette protection.

Des épidémiologistes de l’International Prevention Research Institute (Ipri), à Lyon, ont estimé, après une importante revue de littérature menée il y a une dizaine d’années, que, pour toutes les maladies non squelettiques, un taux bas de vitamine D n’était qu’un marqueur biologique d’un état de santé détérioré, et non sa cause. Le HCSP livrait en 2022 la même conclusion : « Les essais de supplémentation médicamenteuse ne permettent pas à ce jour de confirmer un effet positif (ou délétère) sur la plupart des pathologies potentiellement associées à l’insuffisance en vitamine D en population générale. »

Chez les enfants, la nécessité de supplémentation fait plutôt consensus, en particulier chez les tout-petits, qui ne doivent pas être exposés au soleil. Des experts français ont publié de nouvelles recommandations en 2022, plaidant pour une supplémentation quotidienne jusqu’à l’âge de 2 ans, puis idéalement quotidienne ou à défaut trimestrielle jusqu’à 18 ans. Mais même cette supplémentation pose question quant à son efficacité réelle, indique une méta-analyse de la collaboration Cochrane menée en 2019.

Chez l’adulte, la vitamine D peut être recommandée dans quelques situations cliniques précises (défauts de minéralisation ou de densité osseuse, insuffisance rénale, risque de chute chez le sujet âgé, pathologies ou médicaments affectant le métabolisme…). Mais « la supplémentation médicamenteuse systématique en vitamine D en population générale n’est pas envisageable dans l’état des connaissances actuelles », insiste le HCSP. Si vous êtes un adulte en bonne santé générale, avec un accès raisonnable à la lumière du jour, la supplémentation est inutile.

Des cas de toxicité ont été rapportés de façon exceptionnelle. Ainsi, en 2019, des néphrologues canadiens ont décrit le cas d’un homme de 54 ans, victime de défaillance rénale après avoir pris de hautes doses de vitamine D (8 000 à 12 000 unités internationales par jour, soit 2 à 3 fois l’apport maximal tolérable, selon les autorités sanitaires et les sociétés savantes). Des cas de surdosage chez des enfants ont aussi été rapportés avec des alertes de l’Agence du médicament en 2021, puis en 2023, liées à la prise de compléments alimentaires et ayant pu conduire à l’hospitalisation de nourrissons auparavant en bonne santé. Après la Seconde Guerre mondiale, des épidémies sporadiques d’intoxication à la vitamine D ont aussi pu être observées chez des enfants dont le lait était enrichi.

Des cas fort heureusement rares. « Les risques d’intoxication aiguë en vitamine D, en dehors de pathologies exceptionnelles, sont pratiquement nuls, note le HCSP. En revanche, on manque de données sur de possibles effets négatifs de fortes doses administrées de façon régulière sur les moyen et long termes. »