Responsable de plus de 75.000 décès par an, le tabagisme demeure un problème de santé publique majeur en France. Chaque année, des milliers de personnes tentent de se lancer dans une vie «sans tabac». Mais bien souvent, l’envie de fumer est irrésistible et la rechute inévitable: on estime que seules 7,4% des personnes qui arrêtent parviennent à s’abstenir pendant plus d’un an. C’est pourquoi, il est urgent de mettre en place des stratégies d’aides plus efficaces. Depuis quelques décennies, l’engouement des médecins porte sur la «médecine de précision», qui consiste à adapter le traitement à chaque patient. Car en matière de tabac plus, il n’existe pas de consensus sur les façons d’agir, et chaque patient est différent. C’est dans cette optique qu’une équipe de chercheurs de l’université Paris-Cité a identifié des critères individuels à prendre en compte dans les plans d’intervention de sevrage, plus ou moins adaptés aux spécificités de chacun.

«Tout l’enjeu repose sur le constat actuel que les interventions personnalisées sont souvent définies selon la variabilité biologique des personnes. Mais on ignore souvent le vécu, la personnalité, les ressources, la culture du patient, bref tout ce qui fait sa subjectivité », explique le Dr Viet-Thi Tran, médecin chercheur, maître de conférences à l’université Paris Cité et coauteur de l’étude publiée dans le Journal of Clinical Epidemiology . L’équipe a ainsi passé en revue la littérature scientifique, pour identifier 36 marqueurs susceptibles d’optimiser l’efficacité d’un sevrage, comme la situation psychosociale du patient ou ses habitudes de consommation du tabac. Ensuite, ils ont demandé à 795 médecins et 793 patients issus de la cohorte ComPaRe (Communauté de Patients pour la recherche de l’AP-HP) de hiérarchiser ces marqueurs selon leur pertinence.

Sans surprise, les patients comme les médecins estimaient que la motivation à arrêter le tabac était le facteur le plus important pour choisir au mieux le traitement. Néanmoins, l’ordre des priorités divergeait plus ou moins pour le reste des indicateurs. Après la motivation, les médecins considéraient que les interventions personnalisées devraient d’abord reposer sur les préférences des patients en matière d’accompagnement, sur les croyances liées au tabagisme, comme la peur de prendre du poids à l’arrêt du tabac, mais aussi sur le comportement, par exemple si le patient fume plutôt à la maison et/ou au travail, et enfin les précédentes tentatives de sevrage. Les patients considèrent de leur côté qu’après la motivation, les actions devraient mieux tenir compte du comportement tabagique, du niveau de dépendance au tabac qui rend l’arrêt plus ou moins difficile l’arrêt, les préférences et les attentes sur les traitements proposés, et enfin la connaissance des effets secondaires liés à ces traitements.

Comment expliquer cette différence médecins-patients ? «Nous avons remarqué que les médecins étaient plus catégoriques dans leurs réponses, c’est-à-dire qu’ils avaient tendance à juger un critère important ou non, alors que les réponses des patients étaient plus nuancées», constate le Dr Tran. Pour le Dr Catherine De Bournonville, tabacologue au CHU de Rennes, il est en revanche plus difficile de s’avancer. «C’est assez drôle parce qu’étant tabacologue je suis davantage d’accord avec la classification des patients, explique-t-elle. Il serait intéressant de comparer les réponses des tabacologues et celles des généralistes pour voir si cette hiérarchisation n’a pas été influencée par leur niveau de spécialisation.»

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Ces résultats soulèvent finalement toute l’ampleur du problème: les approches standardisées négligeant certains aspects individuels dans la prise en charge pourraient avoir leur part de responsabilité dans le taux d’échec de sevrage, au même titre que les idées préconçues. Or chaque fumeur est unique et sa relation au tabac l’est aussi. Pour cette raison, il est essentiel de reconnaître que les approches standardisées ne conviennent pas à tout le monde.

S’il est possible que les tabacologues soient davantage informés sur l’importance des critères individuels, l’amélioration de leur évaluation, conciliant les priorités des patients et des médecins, reste fortement attendue dans la conception d’une prise en charge mieux adaptée. «Une intervention personnalisée consiste d’abord à apprendre à connaître le patient et ses habitudes. Sur cette base, il est possible de définir un encadrement qui peut inclure, si besoin, un soutien pluridisciplinaire, comme des thérapies cognitivo-comportementales et des traitements médicamenteux», indique Catherine De Bournonville. Mais cela suppose aussi la possibilité pour le patient de faire des choix éclairés, donc qu’il ait en main toutes les informations relatives aux propositions d’aide. Enfin, un suivi régulier mais aussi les groupes de soutien et les applications mobiles dédiées, comme SmockCheck, ont toute leur importance pour améliorer les chances de succès.