Cet article est extrait du Figaro Hors-série Van Gogh, la Symphonie de l’Adieu, un numéro spécial édité à l’occasion de l’exposition du musée d’Orsay Van Gogh, les Derniers Jours, qui retrace la vie et l’œuvre de l’artiste, de sa jeunesse hollandaise à sa fin tragique à Auvers sur Oise.

Que fera Vincent dans la vie ? La question se pose d’autant plus vivement qu’il a arrêté ses études. En 1869, il a seize ans. Puisqu’il ne sait pas quoi faire, ses parents prennent les choses en main. Ils décideront de son avenir. Ils réunissent un conseil de famille. Dans le cercle qui s’est formé, il y a l’oncle Cent, le marchand de tableaux de La Haye, qui vit maintenant retiré des affaires, à Princenhage, près de Breda. Pour l’oncle Cent, le problème est simple. Pourquoi Vincent ne s’engagerait-il pas dans la carrière où lui-même a si bien réussi ? Il est prêt à le recommander à M. Tersteeg, qui dirige la succursale de la galerie Goupil

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En 1872, Vincent reçoit la visite de son frère Theo. Il lui parle de son métier, de la galerie Goupil. Quand Theo le quitte, Vincent lui écrit aussitôt. Commence alors une longue correspondance (six cent quatre-vingt-dix-sept lettres), qui se poursuivra pendant toute leur vie. Peu d’artistes, comme Vincent, ont été animés d’un besoin obsessionnel de se justifier, d’exprimer leurs passions et leurs doutes, de révéler leurs crises les plus intimes. Au mois de mai 1873, Vincent, qui a été muté à la filiale anglaise de Goupil

De retour en Angleterre, il s’engage comme maître auxiliaire. Le 31 décembre 1876, il se retrouve chez ses parents, installés maintenant à Etten. Il n’y reste que trois semaines et part pour Dordrecht. Là, du 21 janvier au 30 avril 1877, il exerce un autre métier : il est commis de librairie. Pas pour longtemps. Il se sent de plus en plus une vocation religieuse. Il se rend à Amsterdam pour y étudier la théologie. Il sera pasteur. Comme son père, comme son grand-père. Mais il abandonne ses études, en juillet 1878. Après un court passage à Etten, il entre en août dans une école évangéliste à Laeken, près de Bruxelles. Après trois mois de stage, il est renvoyé le 15 novembre 1878. Opiniâtre, il ne se décourage pas. Il part de son propre chef pour le Borinage. Il se fixe à Pâturages puis à Wasmes où s’élèvent des lignées de maisons grises avec leurs jardinets couleur de suie. Autour de lui, une grande plaine houillère sans arbres que mamelonnent les terrils, ces monticules de déchets noirs. Sur cette plaine grise court une rumeur de ciel sale. Et puis, il y a ces centaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui passent leur vie à manier la barre et le pic dans les galeries du fond de la terre. Pour eux, le soleil n’éclaire le monde qu’un jour sur sept, le dimanche. Vincent veut être aussi misérable que ces misérables. Il s’habille comme eux. Il loge dans une cabane construite en planches. Il couche sur une paillasse. Il se taille des pantalons dans des sacs de mineurs et chausse des sabots. Comme eux. Il rend visite aux malades, enseigne le catéchisme aux enfants, leur apprend à lire et à écrire. Il parle au nom du Christ. Affolé, le consistoire protestant demande à Vincent de cesser immédiatement son apostolat. Vincent fait son baluchon, le jette sur l’épaule. Il s’enfonce, passant oublié, dans le jour gris, sur la route de Bruxelles. Derrière lui, des voix murmurent : « Nous l’avons pris pour un fou, c’était peut-être un saint. »

«Van Gogh, la Symphonie de l’Adieu », 164 pages, 13,90€, disponible en kiosque et sur le Figaro Store .