Sandra Hüller n’est pas près de quitter les écrans. Un hasard du calendrier, dont elle est la première stupéfaite. Alors qu’Anatomie d’une chute de Justine Triet, palme d’or dans laquelle elle joue une romancière accusée d’avoir poussé son mari dans le vide, achève sa carrière en salles, la comédienne allemande resurgit là où on ne l’attend pas : dans un film en costumes racontant les dernières années d’Elizabeth d’Autriche, alias Sissi.

Sorti en salle ce mercredi, Sissi et moi dépeint les escapades en Méditerranée de l’impératrice, campée par Susanne Wolff, et sa dame de compagnie hongroise Irma Sztarazay, jouée par Sandra Hüller. Une vie sur la route, creuset d’une amitié fusionnelle qui frôle parfois l’emprise. Tournant le dos au biopic, ce portrait tient plus de la fiction et de la libre interprétation, prévient Sandra Hüller. «La réalisatrice Frauke Finsterwalder ne nous a pas encouragés à nous renseigner et faire des recherches au-delà de ce que nous savions déjà. Elle ne voulait aucun obstacle à notre imaginaire », souligne la comédienne. Dont acte, la bande originale de Sissi et moi regorge de tubes pop et électro, tandis que les tenues arborées par la monarque et ses suivantes combinent formes épurées et accents contemporains.

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« Frauke m’a approchée en me disant avoir écrit le rôle pour moi. J’étais intriguée car je ne me reconnaissais pas en Irma », confie Sandra Hüller. La native de Thuringe a peiné à déverrouiller le personnage « à l’enthousiasme si enfantin dans un corps d’adulte ». « Irma est si curieuse, si aimante, jamais prompte à juger, elle prend les choses comme elles viennent. Peut ressentir énormément de douleur et décider de tout lâcher et de s’en libérer ». C’est son passage devant la caméra de Jonathan Glazer dans La zone d’intérêt, où elle joue la femme du commandant nazi d’Auschwitz, qui l’a aidé. « Passer d’un être qui ne ressent rien à quelqu’un qui ressent tout ».

À l’image du train d’enfer que fait vivre à son entourage Sissi, tantôt tendre, colérique manipulatrice, Sissi et moi, tourné entre Malte, l’Autriche, la Bavière et la Suisse, a réservé son lot de défis à Sandra Hüller qui a dû apprendre à monter à cheval et a effectué bien des plongeons en eaux glacées. « À l’instar des personnages que nous interprétons, nous ne sommes jamais restés au même endroit plus d’une semaine, cela transforme l’âme et la perception de la réalité », note l’actrice de 45 ans. Pour Sandra Hüller, la Sissi de Frauke Finsterwalder poursuit « une liberté illusoire née du désespoir». Impossible d’échapper à l’empereur et à sa Cour.

Débutant comme une comédie noire -Irma a bien du mal à s’adapter aux rites fantasques de la maisonnée si éloignée du protocole impérial-, Sissi et moi se mue en idylle platonique avant de virer à la tragédie. Dans le sillage du film Corsage , Sissi et moi va à rebours de l’image d’une Sissi amorphe et dépressive. « Je trouve passionnant qu’autant de projets cinéma et série ressuscitent Sissi avec des approches si différentes même si je ne crois pas qu’elle fut une figure féministe», analyse Sandra Hüller.

Au contraire de la palme d’or Anatomie d’une chute. Sandra Hulller avoue avoir été bluffée par la précision et la complexité du scénario de Justine Triet et son compagnon Arthur Harari : « Ils ont mis en commun tout ce qu’un couple glisse habituellement sous le tapis. Ils ont exploré des recoins sombres ». Dès la première scène, celle où son personnage accorde un entretien à une étudiante, la comédienne avoue avoir été «happée et déstabilisée» : « Au départ, on ne sait pas très bien qui parle sur ce ton, un vieil homme à une jeune femme ? J’ai joué Sandra le doute chevillé au corps». Les spectateurs lui confiant des moments de vie intimes, expliquant avoir longtemps attendu le discours de vérité d’Anatomie d’une chute sur les rivalités et inégalités au sein du couple l’ont touchée au cœur.

Et de raconter :« J’ai grandi dans une famille sans le moindre artiste dans ses rangs. J’étais la première à avoir une vocation. Je ne savais d’ailleurs pas comment m’y prendre pour creuser cette envie. Quelles études suivre ? Être un acteur c’est essayer en permanence sans avoir la garantie d’être vu. Je me suis lancée, en me disant qu’en cas d’échec, je ferais autre chose. Je n’aurais jamais soupçonné mener une carrière qui m’emmènerait au-delà de l’Allemagne ». « Qui sait dans quelle langue sera mon prochain projet ? »sourit celle que les cinéphiles français retrouveront en salle le 31 janvier dans La Zone d’intérêt du Britannique Jonathan Glazer, autre onde de choc à Cannes cette année.