Emmanuel Macron veut changer les règles. Dans un courrier envoyé dimanche aux partis, et révélé par Le Figaro, le chef de l’État a remis sur la table un sujet longuement débattu lors des premières «rencontres de Saint-Denis» : l’assouplissement du référendum, et son extension aux «questions de société», comme l’immigration ou «la fin de vie».

Une initiative politique qui rappelle celle d’un de ses prédécesseurs, il y a près de 40 ans. En 1984, François Mitterrand tente un coup de poker et propose d’élargir les conditions d’organisation d’un référendum pour l’étendre aux libertés publiques. L’initiative est surtout pensée pour faire adopter le projet de loi Savary. Ce texte, qui vise à intégrer les écoles privées dans «un grand service public», fait descendre plus d’un million de Français dans la rue, et fragilise le gouvernement. Résultat : au printemps 1984, la cote de popularité du chef de l’État est au plus bas (30% de satisfaits), trois ans seulement après son accession à l’Élysée. «Le président fait face à une crise sociale profonde et politique, il lui faut sortir de l’impasse», raconte l’historien Jean Garrigues, auteur des Jours heureux (Ed. Payot).

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Jusque-là, le projet de loi connaissait un parcours parlementaire chaotique. Après un passage à l’Assemblée nationale, où la majorité de gauche durcit encore un peu plus le texte, le Sénat, à majorité de droite, s’empare du dossier explosif au début de l’été. Le 5 juillet, le patron des sénateurs RPR, Charles Pasqua, met l’exécutif sous pression et dépose une motion de référendaire pour soumettre le projet de loi Savary aux urnes. L’opération est impossible en l’état puisque le champ du référendum se limite alors aux questions portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Mais l’initiative a le mérite d’agacer sérieusement au sommet de l’État. Lors d’un déplacement en Auvergne, le président étrille «une médiocre politique» et assure qu’il ne se laissera pas «intimider par les invectives et les obstructions».

Pourtant, en coulisses, François Mitterrand prépare sa contre-attaque pour piéger la droite. Depuis sa bergerie de Latche (Landes), où il se rend chaque été, le président expose son plan à son proche collaborateur, Michel Charasse, et au patron du Parti socialiste, Lionel Jospin. Il proposera dans les prochains jours un référendum sur la Constitution, comme souhaité par le RPR et ses alliés. Mais il sait aussi que la droite sénatoriale, très remontée contre l’exécutif, s’y opposera. «C’était une manœuvre politique. Il était soucieux de trouver une porte de sortie pour faire avorter ce projet dont il ne voulait pas», relate son conseiller spécial, Jacques Attali.

Le 12 juillet, sans en avoir informé son gouvernement, François Mitterrand enclenche la vitesse supérieure. Prenant de court les oppositions et son propre camp, il annonce la tenue d’un «référendum sur le référendum». «Je pense que le moment venu est d’engager la révision constitutionnelle qui permettra au président de la République (…) de consulter les Français sur les grandes questions qui concernent ces biens précieux inaliénables que sont les libertés publiques, et c’est le peuple qui tranchera», avance-t-il.

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Rien de tout cela n’aura finalement lieu. Désavoué, le ministre de l’Éducation nationale, Alain Savary, renonce et quitte ses fonctions. Le premier ministre Pierre Mauroy lui emboîte le pas et présente la démission de son gouvernement. Le projet de loi est quant à lui tout simplement retiré, tandis que le chantier de révision constitutionnelle patine. Le «référendum sur le référendum» est finalement rejeté le 8 août par la droite et le centre au Sénat, qui l’avaient pourtant réclamé. Tout se passe comme prévu pour François Mitterrand, qui prend alors un malin plaisir à mettre le RPR devant ses contradictions et surtout, lui faire porter le chapeau de cet échec.

«La majorité sénatoriale ne voulait pas lui faire de cadeau. La réforme de l’article 11 aurait certainement été approuvée par les Français, et cela aurait permis au chef de l’État de montrer qu’il avait le soutien du peuple», analyse le professeur de droit public, Dominique Rousseau. Un scénario qu’Emmanuel Macron garde sans doute dans un coin de sa tête. «Est-ce qu’aujourd’hui l’opposition est prête à lui faire ce cadeau, à quelques mois des élections européennes ?», s’interroge le constitutionnaliste.