Un florilège de projets et une augmentation notable de la fréquentation, au détriment de la mission de conservation du monument. La Cour des comptes se penche sur les treize ans de mandat de Jean d’Haussonville, ancien directeur général de Chambord et actuel ambassadeur de France à Monaco.
Nommé en 2011 alors que Chambord était une belle endormie, l’ancien directeur général a déployé une énergie hors du commun pour redonner ses lettres de noblesse à ce domaine de 5440 hectares. Se revendiquant régulièrement du statut très particulier de Chambord – à la fois patrimoine national dépendant de trois ministères, tout en étant placé «sous la haute protection du président de la République» – il a eu les coudées franches pour agir. Œuvrant dans un «splendide isolement», il a lancé tous azimuts travaux, politique de marque, mécénat ou festivals. Sous son ère, le nombre de visiteurs a augmenté de 25%, des animations ont été lancées dans le parc et à l’intérieur du château, dont une politique d’expositions- ce que la Cour salue.
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Grâce à cela, rappelle-t-elle, le «panier moyen» par visiteur (billets, achats en boutique et activités) est passé de 11,15€ en 2011 à 20,60€ en 2021. Les recettes propres ont quant à elles, doublé. Dans le même temps, et les deux étant liés, les subventions versées à Chambord n’ont pas augmenté (en dehors de la période du Covid).
Mais ce qui aurait pu apparaître comme de la bonne gestion de deniers publics est reproché aujourd’hui à l’ancien directeur. Car à force de lancer des nouveaux projets, Chambord a fini par courir dans tous les sens. «Certains d’entre eux, dont la création d’un vignoble ou d’un potager en permaculture» restent aujourd’hui déficitaires, ou ont un avenir incertain.
Tout en suivant son fil, l’ancien directeur aurait négligé certaines parties du monument. Globalement, la cour estime que Chambord a été entretenu et valorisé. Entre 2011 et 2021, près de 43,5 millions d’euros ont été investis dans le patrimoine (restauration de la tour lanterne, de l’escalier à double révolution…) et dans les abords du château (jardins à la française…). Mais en «l’absence d’un comité de programmation et de suivi des travaux, le conseil d’administration ne dispose pas d’un compte rendu régulier des travaux» affirme-t-elle, en parlant d’une «source de fragilisation» pour le patrimoine. Aujourd’hui, et selon elle, «l’état sanitaire du monument se révèle préoccupant, avec la stabilité dégradée de certaines parties du château».
La partie en question est la tour François Ier, dont les planchers seraient en mauvais état, au point d’avoir été fermée au public en 2023. La cour pointe également «la faible disponibilité de l’architecte en chef des monuments historiques, qui ferait peser des risques sur le bon état du domaine». Il faut dire que Chambord a joué de malchance: en 2019, Philippe Villeneuve a dû brutalement quitter ses fonctions pour se concentrer sur la restauration Notre-Dame de Paris. Il a, depuis, été remplacé par François Chatillon, architecte également en charge des actuels travaux du Grand Palais – autre grand projet dévoreur de temps. «Cette situation n’est pas digne de l’importance historique et patrimoniale» de ce château, classé monument historique dès 1840 et inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Outre le château, le domaine concerne un village entier, cinq fermes dont une en activité (le Pinay), huit pavillons ou maisons forestières, dix ponts, deux églises, divers bâtiments (dont les écuries du maréchal de Saxe) et un mur d’enceinte de 32 km. Le parc est site classé depuis 1923 et l’intégralité du domaine est protégée au titre des monuments historiques classés.
Il revient au nouveau directeur général, Pierre Dubreuil, nommé en janvier 2023, de se saisir des remarques des magistrats. «Il en a pris acte et va présenter un projet d’établissement Chambord 2030 pour dessiner l’avenir» indique-t-on au domaine.