«Je pense tous les jours au Bataclan». Le 13 novembre 2015, Joffrey Stavinsky (c’est un pseudonyme) assistait au concert des Eagles of Death Metal avec un ami quand des terroristes ont tiré sur la foule. Ce soir-là, le jeune homme d’alors 24 ans s’en est miraculeusement sorti sans blessure physique. Il était parmi les cent premiers à s’être échappés de la salle.

Joffrey Stavinsky entame un long combat. Contre lui-même et ses traumatismes. Puis contre le terrorisme islamiste. Il mène cette bataille en créant un groupe de rock, Republic of the Void, témoignage de sa résilience. Mais c’est surtout grâce à son premier album salvateur, dont la sortie est prévue le 24 novembre, que le chanteur et guitariste de 32 ans tente de se reconstruire. Intitulé Back to Life (Retour à la Vie), le disque évoque les thèmes du blasphème et de la liberté d’expression. Huit ans jour pour jour après l’attaque terroriste, l’artiste se confie sur son parcours.

LE FIGARO. – Votre album Back To Life s’inscrit-il dans une démarche thérapeutique pour surmonter le traumatisme de l’attentat du Bataclan?

Joffrey STAVINSKY – Cet album a évidemment une forte résonance thérapeutique. En l’écrivant, j’ai extériorisé de nombreux traumatismes et émotions. J’ai transposé ce qui me rongeait de l’intérieur dans mes chansons. Par exemple, les paroles du titre funky And Freedom Will Win ont la particularité d’être mon témoignage au procès des attentats de Paris (qui s’est déroulé de septembre 2021 à juin 2022, ndlr). Et malgré la difficulté des sujets abordés, cette chanson, et l’album dans son entièreté, ont un caractère très festif. Ce choix est loin d’être anodin. Je souhaitais apporter de la lumière à cet évènement tragique.

Dans vos paroles, vous blasphémez et dites ce que vous pensez sans retenue. Quel message souhaitez-vous transmettre à travers vos chansons?

Celui de la Liberté. D’écrire et de dire ce que l’on pense, de ne pas se censurer et de pouvoir blasphémer. Je rêve que les gens n’aient pas peur de dire ce qu’ils pensent. Nous ne devons pas nous taire, même si cela dérange. Nous devons être intransigeants avec ceux qui veulent nous enlever cette liberté de parole. Malheureusement, j’ai le sentiment que notre société recule énormément sur ce point. J’apporte mon soutien à Charlie Hebdo et à toutes les personnes dont la vie est détruite, et qui vivent sous protection policière parce qu’elles ont simplement exprimé leurs opinions. Ma musique est également un moyen de partager mon combat contre le terrorisme. Et de rendre hommage à toutes les victimes, celles du 13 novembre, Samuel Paty ou encore à Dominique Bernard.

Comment vous est venue l’idée d’un tel projet?

Je suis guitariste depuis près de 15 ans. Après l’attentat du Bataclan, j’ai arrêté de jouer. J’essayais tant bien que mal de reprendre une vie normale. Et puis le traumatisme a refait surface avec les témoignages des fausses victimes du 13 novembre. Être confronté à cela était comme un retour à la case départ. J’ai donc mis mon métier de couvreur de côté pour me concentrer sur moi-même. J’ai rebranché ma basse en octobre 2020. J’ai joué jour et nuit pendant deux semaines. Et puis le 16 octobre 2020, Samuel Paty a été assassiné. C’était la fin de cette frénésie musicale. Je me suis plongé dans des ouvrages sur le blasphème et la laïcité. Et puis le procès des attentats arrivait à grand pas et je n’étais pas serein quant à la manière dont j’allais gérer mes émotions. J’ai alors compris que ma place était là: entre ma basse et ma plume. Il fallait que je fasse cet album pour guérir.

Avez-vous été soutenu dans votre démarche artistique?

J’ai reçu beaucoup de soutien. Mais malheureusement, j’ai aussi reçu de nombreux messages de haine et d’insulte sur les réseaux sociaux. Sur mes publications Instagram, de nombreux comptes font l’apologie du terrorisme. Je ne suis pas vraiment surpris. J’ai tout signalé à Pharos (site créé par le gouvernement français qui permet de signaler des contenus et comportements en ligne illicites, ndlr), mais rien n’a changé. Ces commentaires n’ont toujours pas été supprimés. Et j’estime que ce n’est pas à moi de le faire.

Est-ce à cause de ces nombreux messages de haine que vous avez décidé d’utiliser un nom de scène et de rester anonyme ?

Je souhaite protéger mes proches, et surtout, depuis que je suis devenu papa, mon enfant. Il y a des gens très malveillants dehors. Je ne souhaite pas vivre sous protection policière parce que j’ai blasphémé dans mes chansons. Et si un jour je dois me produire sur scène, je porterai un masque pour me couvrir le visage.

Huit ans sont passés depuis l’attentat du Bataclan. Avez-vous réussi à tourner la page?

J’y repense tous les jours. En revanche, je ne suis plus une victime du Bataclan. J’ai clos ce chapitre de ma vie avec le verdict du procès des attentats de Paris. Jamais je n’accorderai mon pardon aux terroristes. Mais je mets un point final à cette tragédie avec la sortie de mon album.

L’album Back To Life sortira le 24 novembre sur toutes les plateformes de musiques et sur la chaine Youtube officielle du groupe Republic of The Void.