LE FIGARO. – Que représente ce prix Goncourt pour vous?

Avant le Goncourt, votre roman s’est vendu à plus de 50.000 exemplaires. Comment expliquez-vous ce succès?

Les gens se reconnaissent dans ce romanesque que je leur offre. Ils ont envie qu’on leur raconte des histoires. Fondamentalement, l’être humain a besoin d’histoires. Ce n’est pas pour rien que l’on en raconte depuis des millénaires. Donc, il y a un désir fondamental de l’humain de transcender le réel. Moi, je m’ancre dans cette tradition littéraire. Il y a mille façons de raconter des histoires. Il y a des façons expérimentales, traditionnelles… Mais il n’y a pas de forme supérieure à une autre. Néanmoins, il y a de bonnes et de mauvaises histoires.

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Quel livre incarne pour vous le romanesque?

En France, on pense tout de suite à Dumas ou à Hugo. Mais il y a deux ans, j’ai relu tout le cycle des Thibault de Roger Martin du Gard. Il y a plusieurs romanesques et je ne voudrais pas limiter le mot à une seule forme qui serait une succession de rebondissements. Dans le romanesque, il y a une notion de durée. Cela veut dire que l’émotion est enrichie par la durée. Prenons l’exemple du Guépard. Il est l’un des livres de ma vie, il m’a fait pleurer, pourtant on ne peut pas dire qu’il s’y passe grand-chose… C’est l’histoire d’une famille et je la trouve très romanesque. C’est ça, le roman. Une forme d’intensité qui peut être simplement émotionnelle et pas événementielle. J’aime aussi beaucoup John Fante. Le romanesque, c’est ce qui m’émeut.

Vous avez publié votre premier roman il y a six ans, grâceà Sophie de Sivry (fondatrice de la maison L’Iconoclaste, disparue en mai dernier). Ce roman, selon la légende, aurait été refusé quatorze fois…

J’ai six ans en tant qu’écrivain, mais j’ai travaillé vingt ans dans le cinéma. J’ai été auteur de scénarios et réalisateur durant tout ce temps. Le cinéma a été une école formidable, d’exigence, de rigueur, de travail acharné. J’ai écrit quasiment tous les jours de ma vie pendant vingt ans. Cette expérience m’a été très précieuse. Mais non, ce n’est pas une légende: mon premier roman a été refusé quatorze fois avant que je rencontre Sophie. Quand on s’est vu, elle m’a dit: «Est-ce que vous l’avez montré à d’autres éditeurs?» J’ai évidemment répondu: «Non, vous êtes la première à qui je le montre.» J’avais peur qu’elle soit prise de doutes en apprenant que j’avais été refusé. Alors qu’elle ne l’aurait pas été! Mais je lui ai quand même dit la vérité, peut-être deux ou trois mois plus tard…

Vos années «cinéma» se ressentent dans vos livres, tous très imagés. Dans Veiller sur elle, vous parlez d’art, de sculpture. Aviez-vous un tableau en tête pour écrire ce roman?

Non. Je n’ai pas besoin de m’appuyer sur le réel pour construire. Cependant, la Pietà est au centre de ce roman, donc il y avait bien une forme qui s’est imposée. C’est la Vierge avec le corps du Christ à la descente de la croix. De la même manière, j’avais une image de mes personnages. Mais je ne les décris pas en me basant sur des personnes réelles. J’aime avoir un flou artistique, ce qui fait que j’ai une vague idée de forme. Et c’est ce qui permet à chacun de se projeter.

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D’après la légende, Fantômette prêterait un peu de ses traits à Viola…

Fantômette a été l’une de mes premières lectures passionnées. Petit, je dévorais ses aventures dans la «Bibliothèque rose». Mon premier héros était une héroïne. Et peut-être que, des années plus tard, Viola et les femmes fortes de mes livres viennent de là. J’hésitais au début à employer le mot «féministe» pour parler de Viola, car je ne voulais pas donner l’impression que les femmes avaient besoin de moi pour se défendre. Mais Viola est une ode à la femme libre. C’est une femme qui refuse toutes les contraintes qui sont associées à son époque, à son sexe et qui va se battre contre ses propres limites. C’est une héroïne très moderne.

Outre Mimo et Viola, il y a deux autres personnages prédominants dans votre livre: l’art et l’Italie. Sont-ils indissociables?

Oui! L’Italie a tellement offert à la civilisation occidentale que j’ai du mal à dissocier ce pays de l’art. L’art est au coin de la rue. C’est absolument étonnant. Mimo parle de l’Italie comme de cette «terre de marbres et d’ordures» où des façades de marbre les plus sublimes peuvent finir dans des tas d’ordures. C’est un pays sublime. J’y suis allé pour la première fois à 15 ans et je crois que ma sensibilité à toute forme d’art s’est développée devant cette beauté permanente.