Drame de Molly Manning Walker, 1h28
À première vue, How to Have Sex combine tous les clichés du film pour adolescents. Les examens de fin de lycée terminés, trois copines débarquent dans une station balnéaire de la Méditerranée hérissée d’hôtels low cost. Tara, Skye et Em sont bien décidées à s’amuser. Elles filent à la plage en attendant de pouvoir disposer de leur chambre, jacassent comme des pies, se goinfrent de frites dans des barquettes, se baignent en hurlant et n’arrêtent pas de prendre des selfies. Cette surexcitation n’est pas une posture, c’est un état qui ne cessera que lorsqu’elles dormiront entre deux fêtes, deux soirées, deux beuveries, deux vomis. « S’amuser », on vous dit, et aussi – c’est important – perdre sa virginité. C’est semble-t-il l’objectif premier de Tara que ses deux amies stimulent sur l’air de « cap ou pas cap ? » Sur ce thème rebattu des bacchanales façon Spring Breakers (2013), Molly Manning Walker tricote un film plus ambitieux – il a décroché le prix Un certain regard au Festival de Cannes en mai dernier. Un film qui explore les zones grises de la sexualité chez les jeunes et plus spécifiquement les jeunes femmes, thème désormais souvent abordé au cinéma. La réalisatrice a opté pour le frontal sans tergiverser. Le romantisme n’est pas sa tasse de thé.En plongeant les trois amies dans ce qui ressemble à une orgie géante pour jeunes gens ravis d’être là, elle dépeint un monde qu’aucune règle ne vient corseter mais où l’injonction domine : celle de s’amuser de tout et à tout moment, celle où dire non semble aussi incongru que d’appeler ses parents pour leur assurer qu’on est bien arrivé. Surtout ne pas montrer l’ombre d’un dilemme. L’envie le dispute au dégoût, l’euphorie au malaise, l’excitation à l’abattement. Car, bien sûr, c’était écrit, la première fois ne va pas se passer comme elle l’avait imaginée alors bardée de ses diktats de fille cool et décomplexée, mais de manière contrainte et brutale. Prudente néanmoins, la réalisatrice reste à hauteur de son héroïne, ne lui lâchant pas la main, comme pour accompagner aussi les jeunes spectateurs qui ne manqueront pas d’aller voir ce film aux vertus pédagogiques revendiquées. F.D.
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Comédie dramatique de Robert Guédiguian, 1h46
Tout commence par un effondrement, en plein centre de Marseille, mais se termine par une renaissance, celle d’une femme face à la mer. Au fracas des immeubles qui se sont écroulés rue d’Aubagne en 2018, drame social en préambule de son film, Robert Guédiguian cherche l’harmonie et prend le parti de l’enchantement à travers le portrait de Rosa, cœur solaire de son œuvre chorale. Rosa, formidablement interprétée par Ariane Ascaride, est sur tous les fronts. Infirmière dans un hôpital sous tension, militante sur la liste de la (dés)union de la gauche en pleines municipales, mère, grand-mère, spécialiste des pâtes aux anchois et aux noix, un plat familial qui réunit une légende arménienne et les saveurs de la Cité phocéenne. Accaparée par son travail, elle l’est aussi par sa famille. Mais sa rencontre avec Henri (Jean-Pierre Darroussin), un ex-libraire, va l’amener à repenser à nouveau à elle et à écouter ses propres désirs. Le réalisateur de Marius et Jeannette et des Neiges du Kilimandjaro développe une nouvelle fois avec Marseille pour décor les thèmes qui lui sont chers : l’engagement politique, la solidarité, la dénonciation de la misère sociale, la transmission, la situation en Arménie. Tous sont intrinsèquement liés, abordés un peu dans tous les sens à travers des personnages parfois trop secondaires, mais avec une belle générosité. Avec sa famille de comédiens fidèles, il n’a pas perdu de son indignation, mais s’en amuse aussi. Au milieu de cette agitation familiale et des combats au quotidien, le couple formé par Jean-Pierre Darroussin et Ariane Ascaride semble presque onirique. Accompagnés par la merveilleuse musique de Michel Petrossian, filmés en gros plan la nuit dans une voiture, attablés au bord de l’eau ou dansant en bas d’un immeuble, ces vieux partenaires de jeu à la complicité évidente distillent une douce mélancolie pleine de tendresse. La réplique finale revient à Rosa, les yeux rivés sur la Méditerranée. « Il faut affirmer sans cesse que rien n’est fini, que tout recommence. V.B
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Documentaire de Barbet Schroeder, 1h46
Barbet Schroeder a gardé, avec les ans, le beau sourire carnassier qui fait son charme. Posé, précis, attentif, il attend les questions comme le documentariste formidable qu’il a été pour sa Trilogie du mal, cernant son sujet sans un mot de trop pour Général Idi Amin Dada: autoportrait (1974), n’oubliant pas le décor moite de la Birmanie pour Le Vénérable W. (2016). Rien d’impulsif, rien de simpliste, ni dans une phrase, ni dans un plan. La réalité est une chose complexe à étudier de près. Tout passe par l’observation exacte des faits. Le récit prend de l’épaisseur par le détail significatif qui dit tout du personnage, comme l’accent anglais à peine voilé d’allemand de Claus von Bülow, magistralement interprété par Jeremy Irons dans Le Mystère von Bülow (1990). Il confesse aujourd’hui avoir rencontré le vrai Claus von Bülow avant le tournage. La Cinémathèque lui consacre une rétrospective jusqu’au 18 décembre. Cet anticonformiste compte y défendre «le plus impopulaire de (ses) films, Inju, la bête dans l’ombre, sorti en 2008 et presque oublié». Dans Ricardo et la peinture, Barbet Schroeder, 82 ans, apporte le même regard à la fois large et minutieux à son ami peintre, l’Argentin de Bretagne, Ricardo Cavallo, qu’il marche avec son matériel vers le motif et sa grotte marine ou qu’il fasse cuire son riz quotidien, comme un moine. Il partage à l’écran la passion de cet Argentin arrivé en France en 1976, exilé volontaire depuis 2003 à Saint-Jean-du-Doigt (Finistère), pour l’histoire de l’art et ses maîtres, Vélasquez, Caravage, Delacroix. Il lui confierait bien, nous dit-il, le premier chapitre de sa Trilogie du bien. V.D.
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Fantastique de Stephan Castang, 1h48
Il faut toujours se méfier des stagiaires. Dans le meilleur des cas, ils veulent vous piquer votre place. Dans le pire, ils veulent vous tuer. Dans Vincent doit mourir, le stagiaire veut la peau de Vincent. Ce n’est pas une métaphore. Au sortir d’une réunion, le jeune homme tente de tabasser à coups d’ordinateur portable le graphiste insignifiant joué par Karim Leklou. Employé du tertiaire ordinaire, bobo banal dans sa bulle, citadin célibataire et Lyonnais sans histoire, Vincent n’a pas d’ennemis. Pourtant, quand le gentil comptable de sa boîte l’agresse à son tour en lui plantant un stylo dans le bras, le doute s’installe. Plus tard, ce sont les adorables enfants de ses voisins qui l’attaquent dans l’escalier. Ou le facteur qui l’entraîne dans un corps-à-corps brutal dans une fosse septique. La première moitié de Vincent doit mourir est un bijou d’humour noir et une allégorie puissante de notre société paranoïaque et à cran. Un simple échange de regard désigne Vincent comme cible potentielle. La volonté de tuer se transmet tel un virus, aussi contagieux que le Covid-19. Mathieu Naert (scénario) et Stéphan Castang (réalisation) connaissent leurs classiques (John Carpenter, George A. Romero). Ils ont l’intelligence de ne pas singer leurs aînés américains, gardant un ancrage français à ce « survival » drôle et brutal. La seconde moitié est moins convaincante. L’exil de Vincent à la campagne loin de la foule déchaînée se justifie. Mais sa romance avec Margaux (Vimala Pons), une serveuse paumée qui vit sur un bateau, ne mène pas très loin. L’amour sauvera-t-il Vincent de la folie des hommes ? Peut-être, mais il plombe surtout un scénario jusqu’ici impeccable de rythme et d’inventivité. La rencontre sur une aire d’autoroute de Vincent avec Joachim, membre d’un réseau clandestin de victimes de ces pulsions meurtrières, amorce une piste intéressante. Elle est malheureusement aussi vite abandonnée. Quand l’acte II est faible, autant l’écourter plutôt que de le faire traîner en longueur. É.S.
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Docufiction de Mona Achache, 1 h 35
Mona Achache fait jouer à Marion Cotillard le rôle de sa mère, Carole, qui s’est suicidée. Mais elle part de sa grand-mère, Monique Lange, éditrice et amie de Jean Genet, pousse au crime pervers, pour comprendre une névrose familale et autodestructrice. Si le dispositif docufictionnel est parfois maladroit, l’histoire de ce matriarcat malheureux est assez bouleversante. É.S.
Science-fiction de Francis Lawrence, 2 h 37
Retour à Panem avec ce volet qui se déroule soixante ans avant la rébellion de Katniss Everdeen et suit le glissement vers le côté obscur de Corionalus Snow. Le futur tyran est un Rastignac désargenté qui place ses espoirs dans une tribu du district le plus pauvre. Francis Lawrence tisse ici une dystopie prenante. Mais ce suspense est un peu gâché par une fin connue d’avance. C.J.