L’incipit en couleurs de 2001 Night Stories met en scène un singe fracassant le crâne d’un de ses congénères avec une massue en os. Yukinobu Hoshino marche ainsi dans le sillage de Stanley Kubrick. Pour autant, son manga n’a rien d’une adaptation paresseuse de 2001, l’Odyssée de l’espace, ou même d’une suite opportuniste. Publié entre 1984 et 1986 dans le mensuel Super Action, 2001 Night Stories propose 19 histoires, indépendantes mais suivant un fil rouge, où l’auteur exprime sa vision du cosmos, de la conquête spatiale jusqu’à l’exploration d’exoplanètes. S’il manie des concepts scientifiques pointus, Yukinobu Hoshino s’intéresse surtout à l’humain, à ses tiraillements éthiques, amoureux, philosophiques, voire religieux. Ce mariage réussi entre «hard science fiction» (soucieuse de la crédibilité scientifique), richesse émotionnelle et profondeur intellectuelle, soutenu par un dessin soigné et rigoureux, explique probablement le statut de cette œuvre adaptée deux fois en anime: Space Fantasia 2001 Nights en 1987 et Orbital en 2009.

En 2012, Glénat décide de publier 2001 coffrets contenant les deux tomes de 2001 Night Stories en grand format, avec certaines pages en couleurs et des illustrations bonus, soit environ 800 pages au prix de 99 euros. Des exemplaires qui se négocient autour de 300 euros aujourd’hui. La réédition d’octobre 2023 est donc une excellente nouvelle, d’autant que la version proposée s’avère quasiment identique à la précédente. Si le coffret et les shikishi dédicacés ont disparu, la reliure est désormais cartonnée et les pages intérieures utilisent un papier offset au lieu du papier glacé initial, le tout pour «seulement» 64 euros. Dix mille copies de chaque volume ont cette fois été imprimées.

En France, les autres mangas de Yukinobu Hoshino ont été publiés chez différents éditeurs (Blue Hole et Blue World chez Pika, Kamunabi et Moon Lost chez Black Box, Rain Man chez Panini) et beaucoup restent encore inédits. Si le succès de 2001 Night Stories se confirme, on se plaît à espérer la publication du spin-off 2001 5. «Cela fait partie des réflexions», lâche prudemment Benoît Huot, éditeur chez Glénat. En attendant une éventuelle surprise en 2024, donnons la parole au mangaka, qui a accepté de répondre à nos questions depuis son île natale de Hokkaidô.

LE FIGARO. – Pourquoi avoir voulu rendre hommage au film 2001, l’Odyssée de l’espace aussi longtemps après la sortie au cinéma en 1968?

Yukinobu HOSHINO. – Le film que j’ai vu quand j’avais environ 15 ans a été pour moi une expérience profondément marquante. Par la suite, j’ai toujours eu ce film en tête quand je pensais science-fiction. Plus tard, quand j’ai commencé à travailler sur 2001 Night Stories en 1984, j’étais déjà mangaka depuis neuf ans. Ce qui signifie qu’il m’aura fallu environ seize ans pour donner une réponse personnelle, sous forme de manga, au film que j’avais vu.

Savez-vous si Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke ont pu lire votre manga et, si oui, ce qu’ils en ont pensé?

J’ai un grand respect pour Kubrick et Clarke, mais je pense qu’ils n’ont jamais lu mon manga. À vrai dire, je n’y avais jamais vraiment réfléchi.

Souhaitiez-vous aussi faire un clin d’œil aux contes des Mille et Une Nuits ?

J’ai juste emprunté le titre de ce récit. Les titres des chapitres sont également tous tirés de nouvelles de science-fiction japonaise. Sans pour autant qu’il y ait un lien avec l’original.

Bien que votre manga utilise des concepts scientifiques pointus (antimatière, ondes gravitationnelles, horizon des évènements…), vous n’avez pas consulté de spécialistes au moment de l’écrire. Comment avez-vous fait pour rendre ces concepts crédibles et accessibles aux yeux du grand public?

J’ai lu quelques ouvrages scientifiques, mais j’ai toujours préféré les livres d’histoire et je rougis quelque peu à l’idée d’être considéré comme quelqu’un maniant des concepts scientifiques pointus. J’ai seulement exprimé des choses que j’étais en mesure de comprendre. Mes lacunes sauteraient probablement aux yeux des spécialistes, mais je compte sur eux pour y voir là un travail d’imagination.

2001 Nights Stories mélange «hard SF» et un certain romantisme dans sa manière de représenter les sentiments humains. Trouviez-vous qu’à l’époque la science-fiction ne mettait pas assez l’accent sur les émotions des personnages?

Pour moi, dans un manga de SF, le plus difficile consiste à faire fusionner du mieux possible concepts scientifiques et sentiments humains. Je pense que les films 2001, l’Odyssée de l’espace et La Planète des singes, deux œuvres sorties la même année au Japon mais que tout oppose, illustrent parfaitement cette difficulté. Réussir à faire fusionner les deux dans un manga était peut-être pour moi une forme d’idéal à atteindre.

Dans un chapitre passionnant mêlant religion catholique et astronomie, articulé autour de citations du Paradis perdu de John Milton, vous envoyez un prêtre dans l’espace pour étudier une planète cachée du nom de Lucifer… D’où vient cette idée?

J’ai emprunté le titre de ce chapitre ainsi que le nom du personnage principal, «Ramon», à un roman de SF, mais l’histoire est entièrement de moi. Le film L’Exorciste avait déjà mis en scène le diable et un prêtre pour tenter d’illustrer la question de la lutte intérieure, intime, propre au monde chrétien, mais ce n’est pas exactement la même chose.

Vous avez imaginé de nouvelles formes de vie étonnantes («méduse» Picard, «trou noir vivant», créature mimétique, oiseaux qui voyagent dans le temps…). Comment conçoit-on une créature extraterrestre mémorable selon vous, en termes de design et de comportement?

Je prenais soin de d’abord fixer les pouvoirs de ces créatures avant de leur donner forme, mais je craignais à chaque fois qu’elles aient l’air de ressembler de trop près à ce qu’on peut trouver sur Terre. J’avais beau travailler d’arrache-pied à dépasser mon imagination, je n’étais jamais complètement satisfait.

Quels outils avez-vous utilisés pour réaliser les planches en noir et blanc et les planches en couleurs de 2001 Nights Stories ? Aviez-vous des assistants et, si oui, quelles tâches leur avez-vous confiées?

Pour réaliser les planches N

Vous avez écrit 2001 Nights Stories au début des années 80, pendant la guerre froide. Quel regard portiez-vous sur le monde à l’époque et comment cela a-t-il influencé votre manga?

Jusqu’à l’effondrement de l’URSS, j’ai le sentiment que nous n’avions encore qu’une idée très vague des risques que les armes nucléaires ou la destruction de l’environnement pouvaient faire peser sur l’humanité. C’était aussi l’époque à laquelle les Japonais étaient très attirés par les sciences occultes et les prévisions à la Nostradamus. Personnellement, je priais pour que le XXIe siècle arrive vite afin que l’espèce humaine puisse s’envoler sereinement vers l’espace.

Êtes-vous toujours un lecteur ou un spectateur assidu de science-fiction? Quelles sont les œuvres qui vous ont le plus marqué ces dernières années?

Malheureusement, je ne dessine plus aujourd’hui que des mangas ayant l’histoire pour matière principale (inédits en France, NDLR). Je n’ai le temps ni de lire des romans, ni de regarder des films de SF. J’aimerais tout de même trouver un moment pour découvrir le roman de SF chinoise intitulé Le Problème à trois corps.

Merci à Djamel Rabahi pour la traduction des questions et des réponses, ainsi qu’à Junko Tateno (Kobunsha) et Eiji Shimazaki (Bureau des copyrights français).

2001 Night Stories (intégrale en 2 tomes), de Yukinobu Hoshino, traduit par Djamel Rabahi, Glénat, 32 euros par volume.