Depuis le décès de Franquin en 1997 et la sortie d’un album posthume deux ans plus tard, il n’y avait plus eu de nouvelles aventures de Gaston Lagaffe. Des décennies durant, les fans ont pensé que le plus célèbre des gaffeurs ne survivrait pas à son créateur. Mais en mars 2022, coup de tonnerre. Un nouvel album, Le Retour de Lagaffe , était annoncé par Dupuis. La procédure juridique entamée par la fille de Franquin aura retardé d’un an le retour du plus inventif des préposés au courrier. Rencontre avec Delaf, l’auteur québécois (Les Nombrils) qui a eu la lourde tâche de redonner vie au fantasque héros à espadrilles.
LE FIGARO. – Après tous les rebondissements juridiques et le report de la parution de cet album, avez-vous eu peur d’avoir travaillé pour rien ?
DELAF. – Non. Je vais vous faire une confidence : si l’album était sorti à la date prévue, j’aurais eu bien du mal à le terminer à temps (rires). Je suis resté en dehors de tout ça. La seule chose que je pouvais contrôler c’était la qualité de l’album. Aujourd’hui, je ne sais pas si la fille de Franquin a lu l’album. Elle n’a en tout cas pas souhaité commenter et je le respecte.
La dernière fois que Gaston Lagaffe a tenu le haut de l’affiche, c’était au cinéma en 2017 . Le film n’a pas fait l’unanimité. Avez-vous peur d’être critiqué ?
Non, car j’ai fait cet album pour me reconnecter avec petit garçon que j’étais. Cet objectif est atteint. La petite voix à l’intérieur de moi me dit que j’ai bien travaillé. Mais, je sais que Gaston Lagaffe polarise énormément ; il y a des fans totalement opposés à la reprise. Je peux les comprendre aussi. L’amour de l’univers de Gaston se manifeste de différentes façons.
La plupart des auteurs actuels de BD franco-belge citent Tintin ou Astérix quand il s’agit d’évoquer leur éveil à la BD. Pour vous, c’est Gaston.
C’était même un «choc graphique». J’avais 9 ou 10 ans, et je trouvais le dessin absolument dingue. J’étais mystifié, je ressentais plein d’émotions différentes. J’avais l’impression que Franquin était un être hypersensible. Puis rapidement, l’univers de ce personnage devint une grande passion. J’avais le chandail de Gaston, je dormais avec les chaussettes Gaston, plus tard à Halloween je me suis déguisé en Gaston…
Vous avez choisi de laisser Gaston Lagaffe dans son époque et ne pas faire des histoires qui se passeraient au XXIe siècle… Pourquoi ?
Il s’est passé tellement de temps depuis les derniers gags écrits par Franquin que je n’ai aucune idée de ce qu’il aurait pensé des réseaux sociaux et des autres grands thèmes de notre époque. Pour moi, comme lecteur, Gaston ce n’est pas ça. Il est ancré dans les années 1960-1970. Je voulais l’y laisser, et en même temps je me permets de faire de petits clins d’œil au présent.
Graphiquement, ça impliquait quoi de marcher dans les pas d’un grand maître comme Franquin ?
Pour moi, Gaston a un côté sacré, et je voulais que mon dessin se rapproche le plus possible de celui de Franquin. C’était un vrai défi. J’ai beaucoup étudié son travail, je suis revenu à la base: aux squelettes des personnages, aux formes géométriques, à leur énergie. Le principal défi graphique ça a été de désapprendre ma façon de dessiner pour coller à celle de Franquin. Mon trait est sinueux, le sien est plus nerveux. C’est un tout autre état d’esprit. Finalement j’ai beaucoup progressé, c’était comme un apprentissage intensif.
Et en ce qui concerne le scénario, quelle a été votre marge de manœuvre?
Il y a deux éléments qui font le succès de Gaston Lagaffe. D’abord la galerie de personnages, avec la mise en abyme de la rédaction du journal de Spirou et ensuite le regard de Franquin, sa critique de la société. Sur tout ça, on ne pouvait pas trop bouger les curseurs. Malgré tout, on retrouve ma touche d’humour. C’est avant tout un album de Delaf pas de Franquin. Les lecteurs ne sont pas dupes.
Que penserait Franquin de cet album selon vous ?
Je n’en ai absolument aucune idée. J’ai discuté des gens qui l’ont bien connu. Ils m’ont dit que si Franquin avait vu mes planches, il m’aurait pris sous son aile. Ça fait plaisir à entendre mais la vérité c’est qu’on ne le saura jamais. J’espère qu’il comprendrait tout le respect et l’amour que j’ai pour son univers.
«Le Retour de Lagaffe» (Dupuis), sortie le 22 novembre, 48 pages, 12,50 euros